Covid et mortalité en Europe en 2020 : des statistiques à regarder de près

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Benoît Ourliac, Insee


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En France, le nombre de décès en 2020 s’est accru de 9 % par rapport à l’année précédente, selon les statistiques publiées par l’Insee mi-janvier. Et en Europe ? La situation est très contrastée, tant sur la hausse de la mortalité que sur la façon dont elle se répartit entre les deux vagues de l’épidémie de la Covid-19. Bien qu’affectée dès la première vague, la France se situe dans une position médiane au sein des pays européens. En fin d’année, plusieurs pays ont en effet subi une hausse de la mortalité extrêmement forte, notamment en Europe de l’Est. Dans ces pays, le décompte en temps réel des décès liés à la Covid-19 par les autorités sanitaires ne permet pas toujours de bien appréhender la gravité de la situation.

Fin mars 2020, l’Insee a décidé de diffuser chaque semaine des données quotidiennes sur le nombre de décès déclarés aux services d’état civil des communes. Cette décision a permis de suivre l’évolution de la mortalité toutes causes confondues au fil des semaines avec une dizaine de jours de décalage seulement. C’est ainsi qu’à la mi-janvier, l’institut a mis à disposition de tous le total des décès sur l’année 2020. Ce bilan annuel permet à la fois de dresser une comparaison avec les années précédentes, et avec les autres pays européens touchés par la pandémie.

En 2020, le nombre de décès en France a augmenté de +9 % par rapport à 2019. Cette augmentation correspond à 55 000 décès supplémentaires. Elle est concentrée sur deux périodes, au printemps et à l’automne, qui correspondent aux vagues épidémiques de la Covid-19. En dehors de ces périodes, le nombre de décès a été légèrement inférieur aux années passées sur le début de l’année, et à un niveau similaire durant l’été.

Au niveau européen, Eurostat rassemble les données produites par les autres instituts nationaux statistiques. L’Insee en a proposé une première analyse sur la période de mars/avril 2020, correspondant à la première vague de l’épidémie de la Covid-19 en Europe. Les délais de remontée de ces informations sont cependant variables selon les pays. Chaque pays applique notamment des délais maximums différents pour la déclaration des décès auprès des services d’état civil (7 jours en France, jusqu’à 1 mois en Allemagne par exemple).

Bien que cette collecte ne soit pas encore à ce jour exhaustive et consolidée pour les dernières semaines de 2020 dans tous les pays, elle permet toutefois d’apporter un premier éclairage sur la situation démographique dans les pays européens au cours de la 2e vague épidémique et sur l’année 2020 dans son ensemble.

Une hausse de la mortalité dans la plupart des pays européens, surtout en fin d’année

On analyse ici pour chaque pays le nombre cumulé de décès depuis le début de l’année 2020 en comparaison de l’année précédente. Pour la France, cet indicateur est présenté et mis à jour chaque semaine sur le site de l’Insee. Afin de tenir compte simplement des différences démographiques entre pays, les écarts au niveau européen sont rapportés au nombre annuel de décès en 2019. En fin d’année, cet indicateur est ainsi égal au taux de croissance du nombre de décès en 2020 par rapport à 2019 (9 % dans le cas de la France, comme rappelé plus haut).

Dans la quasi-totalité des pays européens, les décès ont augmenté en 2020 (graphique 1). Avec + 9 %, la France se situe dans une position médiane. La hausse est supérieure ou égale à 15 % dans 4 pays : l’Espagne, la Belgique, la Pologne, la Bulgarie. Suivent la Tchéquie, la Slovénie, la Lituanie, le Royaume-Uni et l’Italie (autour de 13 %, mais avec une collecte encore incomplète dans la plupart de ces pays). À l’inverse, la mortalité est restée proche des années précédentes dans les pays baltes et scandinaves (à l’exclusion de la Lituanie et de la Suède), et elle n’a que faiblement augmenté en Allemagne et en Slovaquie.

Si l’on regarde le profil de la mortalité au cours de l’année, la hausse n’avait concerné que 7 pays au printemps en Europe, lors de la première vague de l’épidémie de la Covid-19. Avec la seconde vague, à l’automne, la crise sanitaire semble s’être diffusée de façon beaucoup plus large.

Graphique 1
Ecarts cumulés de décès en 2020 relativement à 2019

Une deuxième vague particulièrement sévère en Europe de l’Est

Quatre grands groupes de pays européens se distinguent selon l’évolution de la mortalité au cours de l’année 2020 (graphique 2). Rappelons que cette analyse porte sur les données arrêtées à la fin de l’année 2020 (voire plus tôt dans les pays pour lesquels les données ne sont pas encore disponibles jusque-là). La typologie présentée pourrait être modifiée dans les semaines à venir en tenant compte de l’évolution de la mortalité sur le début de l’année 2021, une fois l’épisode de surmortalité amorcé à l’automne achevé.

Parmi les pays où la hausse des décès a été la plus importante (groupe A), ceux d’Europe de l’Est se démarquent : la mortalité n’y avait pas du tout augmenté au printemps, alors qu’une partie de l’Europe était frappée par la première vague de l’épidémie de la Covid-19. La mortalité a été exceptionnellement forte en fin d’année, au point de rattraper ou dépasser celle des pays touchés par la première vague épidémique, pour s’établir autour de 15 %.

Dans les pays où la mortalité avait déjà augmenté fortement au printemps, comme en France (groupe B), le surcroît de mortalité à l’automne a été globalement du même ordre de grandeur. Sur l’ensemble de l’année, la surmortalité varie quasiment du simple au double, entre la France, pays le moins touché de ce groupe, et l’Espagne, le plus touché. Le Royaume-Uni semble faire exception, mais les données disponibles ne couvrent pas encore la totalité de l’année 2020, et il est probable que les dernières semaines de l’année, ainsi que le début de l’année 2021, montrent la même dynamique que dans les autres pays de ce groupe.

Parmi les pays qui n’avaient pas été touchés au printemps, la hausse de la mortalité en fin d’année s’élève dans plusieurs d’entre eux à un niveau comparable à celui observé en France sur l’ensemble de l’année (groupe C). C’est le cas de la Hongrie, de Malte, de la Suisse, du Portugal, de la Croatie ou encore de l’Autriche. L’évolution des décès suit un profil proche de celui des pays du groupe A, mais avec un excès moindre en fin d’année (inférieur à 10 %).

Enfin, en Allemagne et dans les pays scandinaves (à l’exception de la Suède) et baltes (à l’exception de la Lituanie), la mortalité n’a présenté aucun écart par rapport à 2019 sur la majeure partie de l’année (groupe D). Toutefois, dans les dernières semaines de 2020, une surmortalité a commencé aussi à se dessiner, notamment en Allemagne et dans les pays baltes.

Graphique 2
Ecarts cumulés de décès en 2020 relativement à 2019

Une surmortalité pas toujours en phase avec les décomptes des décès liés à la Covid-19

Ce premier bilan de la mortalité en Europe en 2020 dresse un tableau sensiblement différent de celui qui ressort des décomptes par les autorités sanitaires des décès seulement liés à la Covid-19. Rapportés à la population, comme cela est fait usuellement pour comparer les décomptes des autorités sanitaires des différents pays, les surcroîts de décès toutes causes confondues depuis le début du mois de mars présentent à la fois une plus grande amplitude que les décès liés à la Covid et une hiérarchie différente entre les pays (graphique 3). En particulier, la hausse de la mortalité toutes causes confondues dans les pays d’Europe de l’Est à la fin de l’année 2020 est deux à trois fois plus élevée que ce que signalent les décomptes des morts liés à la Covid.

En France, le surcroît de décès par rapport à 2019 est de l’ordre de 63 000 sur la période au cours de laquelle l’épidémie s’est propagée, de mars à décembre (très exactement, du 2 mars 2020 au 3 janvier 2021, correspondant aux semaines 10 à 53 de l’année 2020 selon la numérotation conforme à la norme ISO 8601). Ce bilan est supérieur à celui que l’on peut établir sur l’ensemble de l’année 2020 en raison de la plus faible mortalité observée en début d’année par rapport à 2019, 8 000 décès en moins. Le surcroît de décès « toutes causes confondues » est ainsi très proche du décompte réalisé par les autorités sanitaires, qui fait état de 65 035 décès liés au Covid-19 dans les hôpitaux et les Ehpad sur cette période. D’autres pays, comme la Belgique, la Suède, les Pays-Bas ou la Suisse, présentent des ordres de grandeur similaires pour les deux indicateurs.

Bien sûr, ces chiffres recouvrent des choses très différentes et ne peuvent être directement comparés, comme cela a déjà été bien expliqué sur ce blog. L’écart entre les deux est en effet difficilement interprétable :

  • Bien que le surcroît de décès « toutes causes confondues » présente la même évolution temporelle que la propagation de la Covid-19, il peut aussi être affecté par des effets indirects, positifs ou négatifs, de l’épidémie et des mesures mises en place (confinement notamment), ou encore par d’autres facteurs qui lui sont totalement indépendants.
  • Pour sa part, le comptage de décès liés à la Covid-19 par les autorités sanitaires peut lui aussi être sujet à divers biais et omissions.

Néanmoins, en tenant compte de ces réserves, les deux chiffres peuvent être mobilisés pour appréhender l’impact de l’épidémie sur la mortalité. Le décompte des décès liés à la Covid-19 est un indicateur simple et disponible en temps réel, en apparence comparable entre pays. C’est de fait l’indicateur privilégié par les médias et le public pour suivre l’évolution de l’épidémie. Dans certains pays comme la France, il permet de rendre compte de l’impact de l’épidémie sur la mortalité. Mais ce n’est pas le cas partout en Europe. Il convient donc d’être extrêmement prudent dans son utilisation pour d’autres pays et d’avoir recours en complément à l’analyse des excédents de décès toutes causes de mortalité confondues.

Graphique 3

Ecarts de mortalité par rapport à 2019, par million d'habitants

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