Pourquoi les sources de référence sur l’emploi ont-elles divergé entre 2019 et 2023 ?

Pourquoi les sources de référence sur l’emploi ont-elles divergé entre 2019 et 2023 ?

L’analyse conjoncturelle de l’emploi est réalisée par l’Insee à partir de données administratives transmises par les employeurs, notamment les déclarations sociales nominatives (Estimations d’emploi), source de référence qui permet de mesurer avec une précision importante les évolutions d’emploi chaque trimestre. De son côté, l’enquête Emploi en continu (EEC), réalisée auprès d’un échantillon de personnes, est la source qui permet de mettre en regard l’emploi et le chômage au sens du BIT, et donc la seule qui permet de calculer le taux de chômage. Par ailleurs, l’EEC fournit des informations détaillées sur les caractéristiques des personnes et celles de l’emploi qui éclairent sur l’insertion sur le marché du travail selon les groupes d’appartenance (taux d’emploi des jeunes, des personnes en situation de handicap, …).

La très forte hausse de l’emploi qui a fait suite à la crise sanitaire de 2020 s’est accompagnée d’une divergence plus importante que dans le passé entre d’une part les Estimations d’emploi, et d’autre part, celles de l’EEC. Ainsi, entre 2019 et 2023, l’emploi a fortement augmenté dans l’EEC, de 1,27 million d’emplois, mais il a davantage augmenté dans les Estimations d’emploi, avec 455 000 créations d’emplois supplémentaires.
Pourquoi ces écarts se sont-ils accrus ? Trois principaux facteurs expliquent cette divergence, contribuant au total pour environ les trois quarts :
– un dynamisme de l’emploi très marqué depuis 2019 pour des types d’emploi davantage sous-déclarés que les autres par les personnes répondant à l’EEC (alternants, micro-entrepreneurs, seniors) ;
– des différences liées au champ et à l’échantillonnage de l’EEC (non-couverture des personnes vivant en communauté, sous-couverture des logements construits récemment) ;
– enfin, une sous-représentation dans l’enquête Emploi de l’emploi des personnes nées à l’étranger.


L’Insee produit des données trimestrielles sur l’emploi, avec deux sources statistiques de référence qui ont chacune leurs avantages et leurs limites : d’une part les Estimations d’emploi sont fondées sur les données administratives que tous les employeurs doivent renseigner, notamment les déclarations sociales nominatives (DSN) pour les salariés ; d’autre part l’enquête Emploi en continu (EEC) interroge chaque trimestre environ 90 000 personnes sur les situations d’activité, d’emploi et de chômage en suivant les prescriptions du Bureau international du travail (BIT).

Ces deux sources présentent des différences sur le niveau d’emploi mesuré, provenant d’écarts de champ ou de concept ou imputables à une sous-déclaration de certains types d’emploi, ou de sous-représentation de certaines populations (Picart, 2019). Par exemple, l’enquête Emploi, contrairement aux Estimations d’emploi, ne couvre pas la population résidant dans les communautés (foyers de jeunes travailleurs, résidences étudiantes, etc.). Autre différence, l’emploi des Estimations d’emploi est mesuré au lieu de travail alors que celui de l’EEC est mesuré au lieu de résidence.

Les Estimations d’emploi sont la source de référence pour mesurer le nombre d’emplois et son évolution, alors que l’EEC apporte de nombreuses informations complémentaires

Selon l’usage que l’on veut en faire, chacune de ces deux sources statistiques présente des avantages et, pour chaque besoin particulier, une des deux pourra faire référence. Pour mesurer le nombre d’emplois et son évolution, que ce soit de façon trimestrielle ou annuelle, les Estimations d’emploi constituent la source de référence (Insee, 2021). En effet, le caractère exhaustif des données administratives permet une précision importante, sans aléa de sondage contrairement aux données d’enquête. L’EEC de son côté est la seule source statistique fournissant une mesure au niveau national des concepts d’activité (emploi, chômage et inactivité) au sens du BIT, la plus comparable possible entre tous les pays. Elle permet par exemple d’assurer la meilleure comparabilité possible des taux d’emploi et de chômage entre pays. Par ailleurs, la très grande richesse du questionnaire de l’EEC permet de disposer d’informations détaillées sur les caractéristiques des personnes (âge, sexe, niveau de diplôme, situation de handicap, etc.) et des emplois occupés (type de contrat de travail, temps de travail, catégorie socioprofessionnelle, etc.). Elle éclaire donc sur l’insertion sur le marché du travail selon les groupes d’appartenance (taux d’emploi des jeunes, des personnes en situation de handicap, …). En outre, au-delà des questions de dénombrement, la richesse du questionnaire permet de poser un diagnostic complet sur les composantes de l’emploi : seule l’EEC permet de suivre la proportion d’emploi à temps partiel et la part du sous-emploi, le nombre d’heures effectivement travaillées, autant d’informations qui sont mises à disposition par l’Insee chaque trimestre.

Dans un contexte de hausse inédite de l’emploi, une divergence des sources sur l’emploi après la crise sanitaire

Après la crise sanitaire, l’emploi a très fortement augmenté en France. Les données administratives des Estimations d’emploi et les résultats de l’enquête Emploi (EEC) s’accordent sur ce diagnostic : ainsi, entre 2019 et 2023, en moyenne annuelle, l’emploi a augmenté de 1,73 million selon les Estimations d’emploi et de 1,27 million selon l’EEC. Elles présentent néanmoins un écart de dynamisme de 455 000 emplois sur la période (figure 1). Celui-ci est relativement fort au vu des variations étudiées sur longue période, en particulier en 2021 et 2022 : l’écart de dynamisme y dépasse chacune de ces deux années 160 000, ce qui n’était arrivé que sept années au cours des quatre décennies précédentes (Insee, 2024a), même si cela ne représente qu’environ 0,5 % en proportion de l’emploi total. Les différences entre sources statistiques sur l’emploi ne sont pas propres à la France et des écarts de dynamisme existent ainsi dans d’autres pays au cours des années récentes (Insee, 2021)

Figure 1 – Évolution annuelle de l’emploi dans les Estimations d’emploi et dans l’enquête Emploi en continu

Évolution annuelle de l'emploi dans les Estimations d'emploi et dans l'enquête Emploi en continu
Note : Pour les Estimations d’emploi, données provisoires depuis 2022, données préliminaires pour l’emploi non salarié en 2023.
Lecture : En 2023, l’emploi au sens des Estimations d’emploi a augmenté en moyenne annuelle de 327 000 par rapport à 2022, soit une hausse supérieure de 117 000 à celle calculée à partir de l’enquête Emploi.
Champ : France hors Mayotte.
Sources : Insee, enquête Emploi 2023 et séries longues sur le marché du travail, Estimations d’emploi.

Alternants, micro-entrepreneurs, seniors : très fort dynamisme de catégories structurellement moins bien déclarées dans l’EEC

Entre 2019 et 2023, la forte dynamique de l’emploi repose notamment sur trois populations ou formes d’emploi qui se sont fortement développées : les alternants, les micro-entrepreneurs (lorsque c’est leur activité principale) et les salariés de 60 ans ou plus. Ainsi, si ces trois catégories pèsent pour un peu plus de 10 % du stock des emplois en 2019, elles représentent près des deux tiers des créations d’emplois entre 2019 et 2023 (figure 2). La refonte du système de l’offre et les mesures de soutien à l’apprentissage expliquent son dynamisme sur la période (23 % des emplois créés sur la période, soit près de 400 000 emplois créés au sens des Estimations d’emploi). Par ailleurs, l’essor des micro-entrepreneurs (22 % des créations d’emploi, soit environ +380 000 emplois à titre d’activité principale) a été porté par le doublement du plafond du chiffre d’affaires en 2018. Enfin, porté notamment par les différentes réformes des retraites, l’emploi des salariés âgés de 60 ans ou plus a continué de croître fortement au cours des dernières années (21 % de la hausse de l’emploi, soit +360 000 emplois).

Figure 2 – Répartition de l’emploi et des créations d’emploi

Répartition de l'emploi et des créations d'emploi
Note : Pour les Estimations d’emploi, données provisoires depuis 2022, données préliminaires pour l’emploi non salarié en 2023.
Lecture : En 2019, la part des alternants (apprentis, salariés en contrat de professionnalisation) dans l’emploi total est de 2,2 %. Les alternants contribuent à 23,0 % de l’ensemble des créations d’emploi entre 2019 et 2023.
Champ : France hors Mayotte.
Sources : Insee, enquête Emploi 2023 et séries longues sur le marché du travail, Estimations d’emploi, base Non salariés.

Or les appariements des données individuelles entre l’EEC et les données administratives (encadré) attestent d’une sous-déclaration particulièrement élevée pour ces catégories dans l’EEC (figure 3). Ainsi, on estime que 5 % seulement de l’ensemble des emplois comptabilisés dans les données administratives des Estimations d’emploi ne sont pas repérés comme des emplois dans l’EEC. Mais cette sous-déclaration s’élève à 14 % parmi les micro-entrepreneurs, 12 % parmi les alternants et même 19 % parmi les seniors de 60 ans et plus. Au total, la sous-déclaration dans l’EEC de ces trois catégories d’emploi les plus dynamiques est estimée à 16 %, quatre fois plus que toutes les autres.

Figure 3 – Taux de sous-déclaration de l’emploi dans l’enquête Emploi en continu

Taux de sous-déclaration de l'emploi dans l'enquête Emploi en continu
Note : données mesurées en 2022 pour les salariés et en 2021 pour les non-salariés.
Lecture : en 2022, parmi les personnes en emploi en tant qu’alternants dans les données administratives, 12,1 % ne sont pas en emploi au sens du BIT dans l’enquête Emploi en continu.
Champ : France hors Mayotte.
Source : Insee, appariements entre l’enquête Emploi en continu et les données administratives (voir encadré).

En supposant une sous-déclaration constante entre 2019 et 2023, la conjonction du fort dynamisme de l’emploi et d’une forte sous-déclaration dans l’EEC conduit à ce que ces trois catégories contribuent pour +180 000 emplois à la divergence entre les deux sources.

Alternants : une sous-déclaration plus fréquente lorsque l’intéressé ne répond pas directement

Dans le cas des alternants, la sous-déclaration en emploi dans l’EEC peut avoir plusieurs ressorts. Elle est ainsi beaucoup plus fréquente en cas de réponse par « proxy », c’est-à-dire par une personne vivant dans le même logement que l’intéressé (par exemple si un parent a répondu à la place du jeune alternant) (figure 4). Par ailleurs, en raison du mode d’organisation de l’alternance, qui combine des périodes en entreprise et des périodes de formation, il est probable que si la semaine d’interrogation à l’EEC tombe durant une période de formation, l’enquêté (ou son proche parent) indique qu’il n’a pas travaillé au cours de cette même semaine, contrairement aux consignes explicites dans le questionnaire qui sont conformes aux recommandations européennes de mesure de l’emploi au sens du BIT. Cette hypothèse est renforcée par le fait que, parmi les alternants, la sous-déclaration est plus forte pour les apprentis que pour les bénéficiaires d’un contrat de professionnalisation, dont le temps passé en formation est souvent plus court que celui des apprentis.

Figure 4 – Taux de sous-déclaration de l’emploi dans l’enquête Emploi en continu, selon la forme d’emploi

Taux de sous-déclaration de l'emploi dans l'enquête Emploi en continu, selon la forme d'emploi
Note : données mesurées en 2022 pour les salariés et en 2021 pour les non-salariés.
Lecture : en 2022, parmi les personnes en emploi en tant qu’alternants dans les données administratives, 12,1 % ne sont pas en emploi au sens du BIT dans l’enquête Emploi en continu. Cette proportion atteint 17,2 % dans le cas d’une réponse par proxy à l’EEC.
Champ : France hors Mayotte.
Source : Insee, appariements entre l’enquête Emploi en continu et les données administratives (voir encadré).

Seniors : une sous-déclaration plus élevée en cas de cumul emploi-retraite

Parmi les salariés seniors, la sous-déclaration est bien plus forte dans les cas de cumul emploi-retraite : 45 % contre 7 % en cas de non-cumul, parmi les 60 ans ou plus. Dans les situations de cumul, les revenus d’activité perçus peuvent être considérés comme un revenu d’appoint au regard de la pension de retraite, conduisant à ce que les personnes interrogées ne déclarent pas cette activité, contrairement aux consignes du Bureau international du travail (BIT). Par ailleurs, pour les seniors salariés ne cumulant pas avec une pension de retraite, des situations à la frontière de l’inactivité (fin de poste et liquidation de comptes épargne temps par exemple) peuvent augmenter le risque de sous-déclaration de l’emploi.

Micro-entrepreneurs : une sous-déclaration forte pour les faibles chiffres d’affaires

Enfin, dans l’EEC, les micro-entrepreneurs dont c’est l’activité principale (les micro-entrepreneurs qui déclarent par exemple une activité salariée principale sont ici exclus) présentent un taux de sous-déclaration près de trois fois supérieur à celui des non-salariés classiques (14 % contre 5 %). Parmi les micro-entrepreneurs, cette sous-déclaration décroît fortement avec le revenu perçu au cours du trimestre : de 29 % si aucun chiffre d’affaires n’a été perçu à 4 % si ce dernier dépasse 9 000 euros. Pour un micro-entrepreneur, dont les revenus peuvent être très variables d’un trimestre à l’autre, voire d’une semaine à l’autre, le chiffre d’affaires perçu est corrélé au volume de travail : un faible revenu d’activité réduit donc la probabilité d’avoir eu une activité au cours de la semaine de référence de l’enquête Emploi. L’écart sur cette catégorie d’emploi relève alors davantage d’une différence de concept entre sources (la personne n’a pas eu d’activité de micro-entrepreneur au cours de sa semaine d’interrogation à l’enquête Emploi) que d’une sous-déclaration effective. Au sens des Estimations d’emploi, tout micro-entrepreneur ayant perçu un chiffre d’affaires au cours de l’année est considéré comme étant en emploi en fin d’année (quand bien même il n’a aucune activité au cours du dernier trimestre).

Emploi salarié dans les communautés : dynamique, mais non compris dans le champ de l’enquête Emploi

Conformément au règlement européen qui régit la conduite de cette enquête et de toutes les enquêtes « Labour Force Survey » des autres pays de l’Union européenne, l’EEC ne porte que sur la population vivant dans les logements ordinaires. Elle exclut donc les individus vivant dans des communautés (foyers de jeunes travailleurs, résidences étudiantes, etc.). Or, entre 2019 et 2023, l’emploi salarié des personnes vivant en communauté a été nettement plus dynamique qu’en moyenne, augmentant trois fois plus vite que celui des personnes vivant en logement ordinaire. Compte tenu du faible poids des résidents en communauté dans l’emploi total (environ 1 %), l’impact de son dynamisme sur l’emploi total reste cependant limité, contribuant au final pour +45 000 emplois à la divergence entre sources.

Sous-estimation de l’emploi des logements récents dans l’EEC

L’échantillon de l’EEC est mis à jour chaque année afin d’intégrer au mieux les dernières évolutions du parc de logements (constructions, destructions) ; cette opération est réalisée en France métropolitaine à partir du fichier démographique sur les logements et les individus (Fidéli). Cependant, il n’est pas possible de représenter exactement à un instant donné le stock de logements en France dans l’enquête. D’abord, la constitution du fichier Fidéli nécessite un délai incompressible pour intégrer l’ensemble des informations issues de sources variées (bâtiments, impôt sur le revenu, etc.). Ensuite, l’intégration des constructions les plus récentes peut nécessiter un certain temps. Enfin, la méthode d’échantillonnage et de calage utilisée pour l’Enquête Emploi en Continu (EEC) ne garantit pas une représentativité parfaite des logements récents.

Par conséquent, la proportion de logements récents (construits depuis moins de 10 ans) est structurellement sous-estimée dans l’EEC : elle s’élevait à environ 8 % en 2021, contre 11 % dans l’Enquête Annuelle de Recensement (EAR). Or, ces logements récents sont, toutes choses égales par ailleurs, plus fréquemment occupés par des personnes en emploi. Cela s’explique notamment par le fait qu’un déménagement est fréquemment associé à l’obtention récente d’un emploi. La sous-estimation des logements récents n’est pas nécessairement problématique, mais elle contribue à décaler les variations conjoncturelles de l’emploi. En appliquant une méthode de recalage des données de l’EEC sur les marges « réelles » de logements récents issues des EAR, on peut estimer que ce facteur explique un écart d’environ +40 000 emplois sur la divergence d’ensemble.

L’emploi salarié des personnes nées à l’étranger, qui contribue nettement à la dynamique récente de l’emploi, est sous-représenté dans l’enquête Emploi

Entre 2019 et 2023, l’emploi salarié des personnes nées à l’étranger a fortement augmenté, de 470 000 dans les données administratives. Cette dynamique ne se reflète qu’en partie dans les résultats de l’EEC, selon laquelle il s’est accru de 310 000 emplois (figure 5). Ainsi, alors que les personnes nées à l’étranger représentent 14 % du niveau de l’emploi, ils contribuent pour 35 % à l’écart de dynamique entre Estimations d’emploi et EEC.

Figure 5 – Évolution de l’emploi salarié entre 2019 et 2023, selon le lieu de naissance

Évolution de l’emploi salarié entre 2019 et 2023, selon le lieu de naissance
Lecture : en 2019, selon les Estimations d’emploi, 86,8 % des salariés sont nés en France. Entre 2019 et 2023, l’évolution de l’emploi salarié des personnes nées en France est de 588 000 selon l’enquête Emploi en continu et de 890 000 selon les Estimations d’emploi, soit un écart de 302 000.
Champ : France hors Mayotte.
Sources : Insee, Estimations d’emploi, bases Tous salariés, enquêtes Emploi.

La moindre hausse de l’emploi des personnes nées à l’étranger dans l’enquête Emploi ne semble pas s’expliquer par les phénomènes précédemment décrits (sous-déclaration, différence de champ ou sous-représentation des logements construits récemment) : par exemple, toutes choses égales par ailleurs, les appariements réalisés montrent que la sous-déclaration de l’emploi dans l’EEC est à peine différente pour les personnes nées à l’étranger que pour celles nées en France.

Si les personnes nées à l’étranger sont correctement représentées dans la population totale dans l’EEC, leur part dans l’emploi salarié apparaît structurellement sous-estimée dans cette enquête. Ceci résulterait d’un taux de réponse plus faible dans l’EEC des individus à la fois nés à l’étranger et en emploi. Ce léger biais, qu’il n’est pas possible de redresser entièrement via la méthode de pondération de l’enquête, a significativement contribué à la divergence entre sources sur l’emploi lors de la période récente, du fait des forts écarts de dynamisme de l’emploi entre les personnes nées en France et celles nées à l’étranger.

Une comparaison des données d’emploi salarié de l’EEC avec celles des EAR suggère que la part des personnes nées à l’étranger dans l’emploi salarié pourrait être sous-estimée d’environ 15 % dans l’EEC. En supposant cette sous-estimation constante sur la période 2019-2023, la contribution de cette moindre représentativité de l’emploi des personnes nées à l’étranger à l’écart de dynamisme entre sources est estimée à +85 000 sur 2019-2023.

Au final, l’écart de dynamisme entre les Estimations d’emploi et l’enquête Emploi est en grande partie expliqué

Au final, la sous-déclaration des formes d’emploi les plus dynamiques, la sous-représentation de l’emploi salarié des personnes nées à l’étranger, ainsi que les effets liés au champ et à la construction de l’échantillon de l’EEC, permettent d’expliquer environ trois quarts des écarts de dynamisme de l’évolution de l’emploi entre sources, soit 345 000 emplois sur l’écart de 455 000 constaté (figure 6).

Figure 6 – Contribution à l’écart d’évolution d’emploi entre Estimations d’emploi et Enquête emploi en continu, de 2019 à 2O23

Contribution à l'écart d'évolution d'emploi entre Estimations d'emploi et Enquête emploi en continu, de 2019 à 2O23
Sources : Insee, enquête Emploi et sources administratives sur l’emploi.

La part non-expliquée restante pourrait renvoyer à certaines caractéristiques propres aux Estimations d’emploi. Par exemple, il se peut, qu’une diminution de l’emploi non déclaré au cours de la période ait contribué à légèrement surestimer la hausse de l’emploi déclaré dans les données administratives (Askenazy et al., 2024) ; il n’est toutefois pas possible à ce jour de le démontrer et encore moins de le quantifier. À l’avenir, certains facteurs de divergence entre les deux sources pourraient être amenés à se réduire, voire à disparaître. Par exemple, une stabilisation de l’emploi en alternance conduirait à ce que leur forte sous-déclaration ne contribue plus. Les premières données provisoires sur l’année 2024, parcellaires (il n’existe pas encore d’information administrative sur les non-salariés), suggèrent d’ailleurs une relative convergence entre l’évolution de l’emploi dans l’EEC et celle des sources administratives pour l’an dernier, pour la première fois depuis 2020.


Les Estimations d’emploi sont issues d’une synthèse de plusieurs sources statistiques d’origine administrative. Ces sources s’appuient sur les déclarations sociales réalisées par les employeurs. Les données issues des Estimations d’emploi sont provisoires sur le millésime 2023.

L’enquête Emploi en continu (EEC) est la seule source permettant de mesurer le chômage et l’activité au sens du Bureau international du travail (BIT). Elle est menée en continu, sur l’ensemble des semaines de l’année, en France hors Mayotte. Chaque année, les données issues des 4 derniers millésimes de l’EEC sont révisés, du fait de la mise à jour annuelle des marges de population sur lesquelles est calée l’enquête. Les données issues de l’EEC sont donc provisoires sur les millésimes 2021 à 2023.

La sous-déclaration est définie ici comme le cas d’un individu en emploi au sens des données administratives, répondant à l’enquête Emploi mais dont le statut d’activité au sens du BIT mesuré dans l’enquête au cours de la semaine de référence n’est pas l’emploi (personnes se situant donc au chômage ou en inactivité).

Cette mesure est réalisée via un appariement individuel entre les fichiers de l’EEC et ceux des données administratives :
– pour les salariés : avec les données de la DSN (Déclaration sociale nominative), qui regroupe les déclarations sociales mensuelles des employeurs. Elle renseigne toutes les périodes d’emploi des salariés, et permet donc de recouper exactement la semaine de référence de l’enquête Emploi. C’est la principale source qui alimente les bases statistiques « Tous salariés » (BTS) ;
– pour les non-salariés : la Base Non-Salariés (BNS), qui regroupe les déclarations sociales des indépendants (y compris micro-entrepreneurs) provenant de l’Urssaf et de la Mutualité sociale agricole. Comme il n’existe pas de mesure infra-annuelle pour ce type d’emploi, seule la comparaison entre l’emploi administratif en fin d’année et les données de l’enquête Emploi sur le 4e trimestre peut être faite. La « sous-déclaration » apparente peut ainsi refléter en partie des écarts de concept : c’est par exemple le cas d’un indépendant qui n’a pas travaillé spécifiquement durant la semaine de référence de l’enquête Emploi bien qu’étant économiquement actif au sens de la BNS.

Cette sous-déclaration est, avec la sous-représentation, le principal facteur de sous-estimation en niveau de l’emploi, tel que mesuré par l’EEC. La sous-estimation de l’enquête Emploi est complexe à déterminer précisément (Picart, 2019). Elle entraîne de facto une sous-estimation du taux d’emploi en France, tel qu’il est utilisé pour les comparaisons internationales. Toutefois les autres instituts statistiques sont confrontés aux mêmes problématiques : dans le cas de l’Allemagne par exemple, Destatis propose une analyse de la nette sous-estimation de l’emploi dans la Labour Force Survey, au regard de l’emploi en comptabilité nationale.

Par ailleurs, peut se poser la question d’un biais en conséquence sur le taux de chômage, indicateur phare de l’enquête Emploi : une sous-estimation de l’emploi, qui contribue au dénominateur du taux de chômage,  conduit « toutes choses égales par ailleurs » à surestimer le taux de chômage. Toutefois, il faut en nuancer l’effet : une sous-estimation de 1 million d’emplois à chômage inchangé conduit à surestimer de 0,2 point le taux de chômage, ce qui est inférieur à la précision de l’indicateur. De plus, on peut raisonnablement supposer que certains facteurs qui conduisent à sous-estimer l’emploi peuvent aussi influer sur le nombre de chômeurs : par exemple certains défauts de représentativité, comme la sous-estimation des personnes en emploi nées à l’étranger, peuvent tout autant jouer sur les mêmes populations au chômage ; ou la sous-déclaration propre aux réponses par « proxy » peut aussi jouer sur le niveau du chômage (les proches répondants ne sachant pas toujours s’il y a eu démarche active de recherche d’emploi). À l’inverse, certains facteurs de sous-déclaration de l’emploi n’ont a priori pas d’effet sur le nombre de chômeurs, comme celle des seniors qui cumulent emploi et retraite.

Les appariements sur données individuelles entre EEC et sources administratives ont été réalisées en se fondant sur des clés basées sur des traits d’identité disponibles dans les deux types de sources (nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance, etc.), notamment en utilisant les codes statistiques non signifiant (CSNS ; Insee, 2023).

La mesure de l’emploi salarié dans les communautés a été réalisée via un rapprochement des adresses de la DSN avec celles de répertoire des communautés constitué par l’Insee pour le recensement de la population, ainsi que par une méthode de détection de mots-clés dans les adresses DSN (« foyer », « résidence universitaire », « centre d’action sociale », etc.).

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Crédits photo : © 문용 최 – stock.adobe.com

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