Combien de Français habitent à plus de 10 minutes en voiture d’une boulangerie ?

Mieux mesurer les temps de trajet, pour mieux comprendre le fonctionnement des territoires
Temps de lecture : 9 minutes
Marie-Pierre de Bellefon, Jeanne Pages, Insee

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En matière d’accès aux équipements ou à son travail, tous les habitants ne sont pas égaux. Pour comprendre ces inégalités et y apporter des réponses, il faut d’abord les mesurer, c’est-à-dire connaître la distance moyenne à parcourir et le temps nécessaire pour trouver une boulangerie, une école, une maternité, un emploi… L’Insee travaille ainsi depuis plusieurs années sur les temps d’accès aux équipements. Il a récemment adopté un outil, OSRM, qui lui permet de calculer rapidement des distances de point à point sur tout le territoire et plus seulement entre chefs lieux. La connaissance des déplacements courts est ainsi nettement améliorée, notamment au sein des agglomérations. Une des premières utilisations d’OSRM a porté sur les déplacements domicile-travail. En 2017, 31 % des actifs ayant au plus 2 km pour se rendre à leur travail y vont à pied, 53 % utilisent leur voiture et 10 % prennent les transports en commun.

La distance à parcourir pour se rendre par la route d’un point à l’autre du territoire est souvent bien plus élevée que la distance à vol d’oiseau. Quant au temps de trajet, il dépend de la largeur des routes, de leur sinuosité, de la signalisation, de l’heure de la journée… Disposer d’un outil de mesure précis, actualisé et de référence pour le calcul des distances et temps de trajet est indispensable pour analyser le fonctionnement des territoires et éclairer les politiques publiques nationales et locales. Contrairement aux applications que nous utilisons au quotidien pour nos déplacements personnels (Mappy, Waze, Google Maps…) un tel outil doit permettre d’obtenir rapidement des informations sur un grand nombre de trajets avec une méthodologie et des paramètres identiques. Cette approche statistique des distances et temps de parcours permet ainsi d’effectuer des comparaisons entre territoires sur les indicateurs d’accessibilité ou encore d’analyser les modalités de déplacements des personnes suivant leurs caractéristiques socio-démographiques, en distinguant les situations qui restent dans la moyenne, de celles qui s’en écartent. Dans son avis du moyen terme 2019-2023, le Conseil national de l’information statistique (Cnis) « encourage […] à améliorer les mesures de distance et de temps d’accès ».

Distance et temps de trajet déterminent en particulier l’accessibilité aux emplois, aux soins, aux équipements culturels ou sportifs… Dans de nombreux territoires, cette accessibilité est un levier primordial de développement. Ainsi, le rapport de la mission pour l’agenda rural souligne « la nécessité d’une accessibilité physique et virtuelle en tout point du territoire, à des services publics et d’intérêt général, notamment en matière de santé et d’éducation mais pas forcément les mêmes, de la même manière et au même niveau partout. » Et puisqu’« il n’est pas rare de devoir faire plus d’une centaine de kilomètres aller-retour pour accomplir une simple démarche administrative, ce qui entraîne perte de temps, d’argent et bilan carbone négatif », l’une des 50 propositions clés de l’agenda rural est de « garantir l’accès à un socle de services universels à moins de 30 minutes de trajet. »

Plus de 45 minutes pour accéder à une maternité spécialisée dans 11 départements

Durant la dernière décennie, l’Insee a apporté un éclairage sur de nombreuses problématiques territoriales liées à la distance et au temps de trajet. Ainsi, au niveau national, le temps médian d’accès en voiture aux principaux services de la vie courante variait en 2013 du simple au triple entre les communes les plus denses et les moins denses (figure 1) [Barbier, Toutin, Levy, 2016]. Des études régionales ont permis d’affiner ce constat. Ainsi, en Bourgogne-Franche-Comté, 4 % des jeunes de la région, soit 17 910 jeunes habitaient en 2014 dans des territoires où le temps d’accès en voiture à un espace culturel (théâtre, musée, cinéma…) ou à un établissement de formation (lycée, centre d’apprentissage, enseignement supérieur…) dépassait 40 minutes en moyenne ; celui pour consulter un professionnel de santé approchait les 30 minutes et celui pour accéder à une agence de travail temporaire, un réseau Pôle emploi ou une mission locale était d’en moyenne 20 minutes. Ces temps d’accès élevés s’expliquent par l’enclavement de ces territoires, leur faible densité de population ou encore le relief montagneux. Les difficultés d’accès des jeunes à cet ensemble d’équipements peuvent compliquer leur insertion sociale et professionnelle [Lèbre, Bordet-Gaudin 2018].

Dans le Grand Est, en 2017, les communes rurales où la densité de population est très faible et qui ne fonctionnent pas sous l’influence d’un pôle d’emploi se caractérisent par des temps d’accès aux services de la vie courante très supérieurs à la moyenne régionale. Ainsi, 57 % des 205 000 habitants de ces communes mettent en moyenne au moins 10 minutes en voiture pour accéder à un ensemble d’équipements les plus utiles au quotidien (boulangerie, école élémentaire, bureau de poste, médecin, station-service, supermarché…). À l’inverse, pour 85 % de la population des zones urbaines ce temps d’accès moyen est inférieur à 4 minutes. [Isel, Villaume, 2021]

L’évolution au fil du temps de l’éloignement des équipements est un indicateur clé pour appréhender l’évolution des conditions de vie des habitants. Ainsi, la DREES souligne que la part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité augmente au niveau national entre 2000 et 2017. C’est particulièrement le cas dans le Lot, la Nièvre et le Cantal, sous l’effet des fermetures des maternités. Si l’on cible uniquement les maternités de type 3, spécialisées dans la prise en charge des grossesses à risque et des grands prématurés, le temps d’accès médian est plus faible en 2017 (22 minutes) qu’en 2000 (24 minutes). Toutefois, pour 11 départements, la totalité des femmes habitent à plus de 45 minutes d’une maternité de type 3, en 2017 comme en 2000. Or la DREES souligne que pour les grossesses à haut risque, le temps d’accès à une maternité spécialisée dans ce type de prise en charge est crucial pour la santé et la sécurité de la mère et du nouveau né, du fait du risque d’accouchement inopiné [Bergonzini, Simon, 2021].

Figure 1 – Temps d’accès médian routier aux principaux services de la vie courante (en minutes)

De Metric à OSRM : une avancée décisive pour les petites distances

Depuis 2014, l’Insee calculait les distances et les temps de trajet par la route grâce à un outil développé en interne : le distancier Metric. Ce distancier s’appuyait sur des fonds cartographiques de l’IGN datant de 2012. Compte-tenu de l’avancement des technologies contemporaines au développement de Metric, le distancier reposait avant tout sur une base pré-calculée de distances et temps de trajet entre chefs lieux de communes de façon à garantir des temps de traitement informatique raisonnables. Les analyses de parcours non pré-calculés entre deux localisations fines étaient possibles tant que ces trajets restaient à l’intérieur d’un même département, mais s’avéraient très coûteux en temps informatique.

Depuis 2021, l’Insee utilise le serveur de routage en code source ouvert, open source, OSRM (Open Source Routing Machine). Ce serveur met en œuvre des algorithmes de routage très performants, sur les fonds routiers issus de la base de données collaborative OpenStreetMap, mise à jour en continu par ses contributeurs. Il permet de calculer, avec une grande rapidité d’exécution, des distances et temps de trajet optimaux par la route en voiture en heure creuse, de point à point sur tout le territoire et plus seulement entre chefs lieux, ce qui améliore nettement la connaissance des déplacements courts, notamment au sein d’une grande ville. Il permet de s’affranchir des frontières nationales et il est facilement actualisable. Cette évolution dans les outils utilisés pour calculer les distances et les temps de trajet ouvre le champ à des analyses plus précises et ainsi à une meilleure compréhension de la structuration du territoire et des comportements des individus.

Une des premières utilisations du nouveau distancier a été la description des déplacements domicile-travail des actifs. En particulier, pouvoir calculer des distances de point à point a permis de caractériser les déplacements de courte distance. En janvier 2021, le recensement de la population a été pour la première fois géolocalisé au lieu de domicile et au lieu de travail (encadré) et les distances de trajet ont été calculées précisément grâce à OSRM. En appliquant cette géolocalisation aux enquêtes annuelles de recensement de 2015 à 2019, l’Insee a ainsi pu constater que 31 % des actifs ayant au plus 2 km pour se rendre à leur travail y vont à pied, 53 % utilisent leur voiture et 10 % prennent les transports en commun.

Le recensement de la population permet de caractériser les individus parcourant de petites distances domicile-travail et ainsi d’affiner l’analyse des mobilités. Parmi l’ensemble des actifs résidant à moins de 5 km de leur lieu de travail, les cadres ont le moins recours à leur voiture (49 % contre 60 % en moyenne) et ils se déplacent plus souvent en transports en commun (22 %) ou en vélo (8 %). Les deux tiers des agriculteurs et la moitié des artisans et commerçants qui se déplacent pour aller travailler se rendent à moins de 5 km de leur lieu de résidence, contre un tiers pour l’ensemble des actifs. Les femmes parcourent un peu plus fréquemment que les hommes des distances domicile-travail inférieures à 5 km (36 % contre 31 %), notamment celles à la tête d’une famille monoparentale. Pour parcourir ces petites distances domicile-travail, les femmes se déplacent plus souvent à pied ou en transport en commun que les hommes [Brutel, Pages, 2021].

Comment géolocaliser le hameau des coquelicots ?

Grâce au recensement de la population, on connaît le lieu de résidence de chaque personne enquêtée et, si elle travaille, on l’interroge également sur son lieu de travail.
En géolocalisant ces deux lieux, on dispose donc d’une masse considérable de données sur les déplacements domicile-travail, qui permet de faire des études nationales, ou sur des territoires ciblés.

Géolocaliser le lieu de résidence.
Dans les communes de 10 000 habitants ou plus, l’Insee et les communes mettent à jour un répertoire qui liste tous les bâtiments d’habitation (immeubles ou maisons) de la commune. Ce Répertoire des immeubles localisés (RIL) sert à tirer l’échantillon des logements recensés. Il contient notamment les coordonnées géographiques de chacun de ces bâtiments.

Dans les communes de métropole de moins de 10 000 habitants, on ne dispose pas d’un tel répertoire. On tente alors de rapprocher les données du recensement d’un référentiel géolocalisé constitué à partir de fichiers fiscaux (cadastre notamment). Deux méthodes sont mises en oeuvre :
– la première s’appuie sur les éléments d’adressage (numéro, voie, complément d’adresse, lieu-dit, commune). Lorsque ceux-ci sont assez précis et se retrouvent dans le référentiel, on peut associer à chaque bâtiment enquêté dans le recensement des coordonnées géographiques. Mais lorsque les éléments d’adressage ne sont pas assez précis, par exemple s’ils se limitent au nom d’un lieu-dit comme le hameau des coquelicots, il n’est pas possible d’obtenir la coordonnée précise d’un bâtiment ;.
– on recourt alors à la deuxième méthode. Celle-ci repose sur les caractéristiques des individus résidant dans chaque bâtiment. En effet, les données du recensement comportent comme les fichiers fiscaux des informations non-nominatives sur les personnes : date de naissance, sexe, commune de naissance. On considère alors qu’un bâtiment enquêté par le recensement correspond à un bâtiment du référentiel dès lors que les deux bâtiments partagent un certain nombre d’individus avec des caractéristiques très proches (même sexe, date de naissance et lieu de naissance, au sein d’une même commune de résidence).

Dans les communes de moins de 10 000 habitants des départements d’Outre-mer, les enquêteurs de l’Insee réalisent avant chaque recensement une enquête cartographique des territoires à recenser. Ils disposent pour ce faire d’une tablette équipée d’un GPS qui permet de géolocaliser directement tous les bâtiments d’habitation.

Géolocaliser le lieu de travail
Dans le questionnaire du recensement, on demande à toutes les personnes en emploi le nom ainsi que les éléments d’adressage de leur établissement de travail. Nom et adresse permettent dans quatre cas sur cinq de déterminer le Siret de leur établissement de travail. Grâce au répertoire Sirene (qui contient les Sirets et leurs coordonnées géographiques associées), on peut ainsi dans la majorité des cas déterminer la géolocalisation du lieu de travail. Lorsque ce n’est pas possible, on utilise la méthode de géolocalisation à partir des éléments d’adressage de l’établissement de travail déclarés par l’enquêté.
Une géolocalisation précise n’est pas possible dans toutes les situations (déclaration imprécise de l’adresse de l’établissement employeur ou absence de lieu de travail fixe par exemple). Au total, la géolocalisation est jugée de très bonne qualité pour 99 % des lieux de résidence et 76 % des lieux de travail.

La précision des calculs de distance et de temps de trajet routiers apportée par le serveur de routage OSRM ouvre la possibilité d’une meilleure analyse de nombreuses problématiques socio-économiques et environnementales. OSRM permettra d’améliorer l’éclairage apporté par le service statistique public sur les questions d’accessibilité aux services ou plus largement d’aménagement du territoire. Le calcul des émissions de CO2 des déplacements quotidiens pourra être fait de façon plus précise, les déterminants de l’étalement urbain pourront être mieux compris, ou encore les choix de localisation des ménages suivant leur lieu de travail seront plus finement analysés.

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