Comment s’est réparti le coût macroéconomique de la crise sanitaire ?

Comment s’est réparti le coût macroéconomique de la crise sanitaire ?

La crise sanitaire semble rebattre les cartes de l’économie. La publication par l’Insee des comptes de la Nation est l’occasion de revenir sur les grandes évolutions de l’an passé et d’éclairer des questions très présentes dans la discussion publique : quelle a été la perte de revenu national entraînée par la pandémie et qui a porté celle-ci ? Dans quelle mesure cette perte a-t-elle « déjà été payée » par le recul de la consommation ? Quel regard porter sur les évolutions de l’épargne et de l’investissement ?

Entre 2019 et 2020, le revenu national a diminué de plus de 150 Md€, soit un recul de 6,3 %. Ce chiffre est la contrepartie en valeur monétaire du recul du PIB en volume (– 7,9 %). Rapporté à la taille de la population, il correspond à un revenu monétaire amoindri de près de 2 300 euros par habitant.

La perte de revenu national entraînée par la pandémie a été supportée entre 70 % et 80 % par l’État et le reste par les entreprises

Le recul du revenu national indique la baisse des revenus tirés des productions recensées par les comptes nationaux, en tenant compte du solde des revenus et transferts effectués avec le reste du monde. Au niveau macroéconomique, il mesure la baisse du revenu disponible pour les trois grands groupes d’agents de l’économie : les entreprises, les ménages et les administrations publiques.

Une première question est de savoir qui a supporté cette baisse de revenu national. Les administrations publiques en sont le premier porteur, pour plus de 70 % du total (cf. figure 1).

Figure 1 – Évolution du revenu disponible brut en 2020 (en Md€)

Note : les sociétés incluent les sociétés financières, et les ménages les entrepreneurs individuels et les institutions sans but lucratif au service des ménages. La répartition du revenu disponible reflète l’affectation « primaire » du revenu entre agents (rémunération des salariés, revenus de la propriété…) et la distribution « secondaire » de revenu induite notamment par le système fiscalo-social.
Source : Insee, comptes nationaux.

Ce constat reflète l’idée déjà bien comprise que les finances publiques ont été un puissant amortisseur des revenus privés pendant la crise, tant de façon « automatique » (les prélèvements baissent mécaniquement lorsque les revenus diminuent et certaines prestations augmentent) que par le jeu des dispositifs de soutien adoptés en réponse à la pandémie (DG Trésor, 2020 ; Dauvin et al., 2020).

Le reliquat de la perte de revenu national a été assumé par les entreprises, même si la perte de revenu subie par celles-ci a été nettement moindre que celle de leur production. On peut en outre noter que le partage de la perte de revenu national passe à 80 % environ pour les administrations publiques et se réduit d’autant pour les entreprises si l’on tient compte des aides publiques comptabilisées en transferts en capital (comme la fraction des reports de cotisations qui ne serait pas recouvrée), non intégrées au concept classique de revenu disponible.

Enfin, le revenu disponible des ménages a été intégralement préservé et a même globalement un peu augmenté. Toutefois, après prise en compte de l’évolution des prix et de celle de la structure des ménages, le pouvoir d’achat « par unité de consommation » est resté stable.

Ainsi le premier constat que l’on peut dresser est que la perte de revenu national a été majoritairement absorbée par les administrations publiques, en second lieu par les entreprises privées, et très peu par les ménages considérés globalement.

Naturellement, cette répartition macroéconomique entre grandes catégories d’agents masque de fortes disparités entre les agents eux-mêmes. Certaines personnes ont perdu leur emploi ou plus généralement vu leurs revenus d’activité limités du fait de la crise, notamment les artisans et commerçants, et sans doute les jeunes (Insee, 2021b). Ainsi, 22 % des ménages déclarent que leurs revenus ont diminué par rapport à l’avant crise (Insee, 2021c). Au niveau des entreprises, les pertes de production dans les 20 % de secteurs les plus affectés expliquent l’essentiel du recul du PIB (Insee, 2021d), et au sein même de chaque secteur existent de fortes disparités entre entreprises (Insee et Banque de France, 2021).

Une perte de revenu qui a « déjà été payée » pour près de moitié par le recul de la consommation

On sait que pendant la crise sanitaire la consommation a beaucoup reculé car elle a été contrainte tout comme la production par les restrictions visant à contenir l’épidémie. L’image renvoyée aujourd’hui par les comptes permet de quantifier le partage de la baisse de revenu national entre consommation et épargne : au niveau de la nation dans son ensemble donc, le choc de revenu s’est traduit environ pour un peu moins de la moitié par une baisse de la consommation, et pour le restant par un recul de l’épargne nationale, par construction puisque l’épargne est par définition l’écart entre revenu et consommation.

Figure 2 – Partage du recul du revenu disponible brut national entre consommation et épargne en 2020 (en Md€)

Note : le revenu national est la somme de la consommation nationale et de l’épargne nationale.
Source : Insee, comptes nationaux.

Ainsi le coût macroéconomique de la crise, pour la seule année 2020, a été déjà pour un peu moins de moitié globalement assumé sous la forme d’une moindre consommation par les différents agents. Cela signifie donc aussi qu’une grosse moitié ne l’a pas été.

Il apparaît aussi clairement que la baisse de l’épargne nationale recouvre des mouvements de sens contraire : d’une part, les ménages ont dégagé un flux d’épargne positif plus élevé en 2020 qu’en 2019 (pour plus de 95 Md€), compte tenu de ce que leur revenu a été préservé tandis qu’ils ont effectivement moins consommé. D’autre part, l’épargne dégagée par les entreprises, et surtout par les administrations publiques, s’est nettement repliée. Au passage, on notera qu’on peut difficilement conclure de l’observation du seul surcroît d’épargne des ménages que ces derniers sortiraient « plus riches » de la crise. Ce surcroît est en quelque sorte la contrepartie, et seulement partiellement, de la dégradation de la situation financière des autres agents, surtout les finances publiques. Derrière les agents au sens de la comptabilité nationale se trouvent en effet toujours in fine des ménages : les entreprises sont détenues par des personnes (parfois des non-résidents) et les engagements pris par les administrations publiques reposent en fin de compte sur les capacités contributives aux charges publiques.

Figure 3 – Évolution de l’épargne des agents en 2020 (en Md€)

Note : l’épargne nationale est la somme de l’épargne des trois autres catégories d’agents.
Source : Insee, comptes nationaux.

Une baisse modérée de l’investissement, un fléchissement des comptes extérieurs

Une autre manière de voir les choses est que le surcroît d’épargne des ménages n’a pas de contrepartie en investissements réels. L’investissement national (la formation brute de capital fixe des comptes nationaux), a en effet lui aussi reculé en 2020. Certes, il s’est en réalité mieux maintenu qu’on aurait pu le craindre : la baisse de l’investissement des entreprises s’est inscrite en ligne avec l’activité et non comme d’ordinaire en amplifiant celle-ci (Insee, 2021d) et le reflux de l’investissement public, reflet attendu du cycle d’investissement communal après un point haut en 2019, a été limité. Pour autant, en dépit de la relative résilience de l’investissement, sa baisse traduit un affaiblissement des capacités de production, conduisant à reporter une partie du coût de la crise vers le futur.

Ce repli limité de l’investissement est l’autre contrepartie logique du fait que le recul de la consommation ne représente qu’une partie du recul de la production : on ne peut consommer et investir que ce que l’on produit, avec néanmoins la nuance qu’il est possible à un pays de dépenser plus que sa production au prix d’une dégradation de ses comptes extérieurs. C’est d’ailleurs aussi ce qui s’est produit en 2020 : le solde des biens et services s’est replié de plus de 20 Md€, en dépit d’une moindre facture énergétique, sous l’effet notamment de pertes importantes dans l’aéronautique et le tourisme, dont le caractère durable est difficile à apprécier. En outre, le solde des autres opérations avec l’extérieur s’est également dégradé, entraînant au total une hausse de 1,75 point de PIB du besoin de financement de la nation (ou, de façon équivalente, du solde de la balance des paiements). C’est ce qui explique la différence entre le recul de l’épargne et celui, plus modéré, de l’investissement.

Figure 4 – Évolutions du revenu, de la consommation, de l’investissement et de la balance des paiements en 2020 (en Md€)

Note : l’évolution du revenu national est la somme de l’évolution de la consommation nationale, de l’investissement national et du solde de la balance des paiements, à un résidu près (3 Md€), qui inclut l’effet des variations de stocks et des transferts en capital.
Source Insee, comptes nationaux.

L’essentiel

  • En 2020, le recul de la production nationale s’est accompagné d’un maintien du revenu global des ménages et d’une hausse de leur épargne. Celle-ci a été plus que compensée par une hausse du déficit public et, dans une moindre mesure, par un repli des résultats des entreprises ;
  • Ces mouvements d’ensemble recouvrent des situations très diverses au sein des ménages comme des entreprises ;
  • Pour la nation dans son ensemble : une petite moitié de la perte collective a été absorbée par la baisse de la consommation ; et un bon quart chacun l’a été par un moindre investissement et par un déficit courant accru.

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