L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ne se résume pas à la formule : « à travail égal, salaire égal »
Depuis le 1er mars, toutes les entreprises de plus de 50 salariés doivent publier leur Index de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. En cette journée internationale des droits des femmes, beaucoup de chiffres sont fournis sur les inégalités salariales entre les femmes et les hommes en France – l’Insee en étant un grand contributeur ! Tous ne recouvrent pas la même réalité et chacun éclaire un des aspects particuliers de la question : écart de volume de travail, ségrégation professionnelle, écart moyen ou toutes choses par ailleurs, écart « à travail de valeur égale ». Que retenir et dans quel ordre ?
La première source d’écart de salaire est la ségrégation professionnelle
Les hommes et les femmes n’occupent pas les mêmes métiers, ne travaillent pas dans les mêmes secteurs ou les mêmes entreprises : c’est ce qui définit la ségrégation professionnelle entre femmes et hommes. Des études permettent de faire le point sur les écarts salariaux liés à chacune de ces disparités.
Parmi les actifs, les femmes sont notamment moins souvent cadres que les hommes (17 % contre 22 %) et elles sont sur-représentées dans des secteurs peu rémunérateurs (commerce de détail, action sociale…). Ces différences de catégories socio-professionnelles et de secteurs d’activité expliquent à elles seules la moitié des écarts de salaire horaire entre les femmes et les hommes.
Indépendamment des secteurs d’activité, la répartition des hommes et des femmes peut être très différente d’une entreprise à l’autre. Dans le secteur privé, les femmes travaillent dans des entreprises dans lesquelles 62 % des salariés sont des femmes, en moyenne, alors que les hommes travaillent dans des entreprises dans lesquelles seulement 27 % des salariés sont des femmes, en moyenne. Dans le secteur privé, et une fois que l’on a tenu compte des caractéristiques individuelles de chaque salarié.e, la plus forte concentration de femmes que d’hommes dans des entreprises généralement moins rémunératrices compte pour 11 % des inégalités de salaire horaire entre les sexes.
Tout cela s’illustre de façon saisissante dans le graphique ci-après, qui représente la proportion de femmes salariées à chaque niveau de l’échelle salariale.
La part des femmes salariées baisse au fur et à mesure qu’on progresse dans l’échelle salariale, et cette baisse s’accentue au niveau des plus hautes rémunérations. Il y a plus de 50 % de femmes dans les 10 % des emplois les moins rémunérés du secteur privé, alors qu’elles ne comptent que pour 42 % des salariés. Et elles sont moins de 30 % parmi les 10 % les plus rémunérés. Un résultat d’autant plus marquant que les niveaux de formation initiale des femmes dépassent aujourd’hui ceux des hommes et que leurs expériences sur le marché du travail se rapprochent. Depuis la fin des années 1990, les différences de capital humain (formation initiale et expérience) entre les femmes et les hommes jouent à sens inverse sur les inégalités de salaire. Autrement dit, les inégalités de salaires sont en fait plus élevées si on tient compte de ces écarts. Comme quoi un diplôme ne fait pas nécessairement une carrière…
Figure 1 – Proportions de femmes parmi les salariés et professions les plus représentées, selon le niveau de salaire
La ségrégation professionnelle s’accroît au fil de la carrière, notamment après l’arrivée des enfants
L’écart de salaire horaire entre mères et pères est trois fois plus élevé que celui entre les femmes et les hommes qui n’ont pas d’enfants. L’écart de salaire entre les mères et les pères s’accroît dans les années qui suivent la naissance des enfants. À l’écart immédiat s’ajoutent au fil de la carrière des divergences de choix d’employeurs et/ou d’opportunités professionnelles (mobilités, promotions, etc.). Les changements d’employeurs, vecteurs importants de progression de carrière et donc de progression salariale, sont moins fréquents pour les femmes que pour les hommes entre deux ans avant et dix ans après la naissance de leurs enfants.
Les mères travaillent plus fréquemment que les pères dans des entreprises où la part des salariés au Smic est forte, la part de travailleurs à temps partiel élevée, ou encore dans des entreprises proches de leur domicile (et donc aussi des lieux de garde ou d’école des enfants). À l’inverse, les pères travaillant loin de chez eux sont plus nombreux en proportion, et ils exercent dans des entreprises généralement plus rémunératrices.
Évidemment, ces différences illustrent des choix en partie « personnels » (dans un sens large). Rester proche des lieux de garde des enfants au prix d’un salaire plus bas peut être préféré par les femmes à des déplacements domicile/travail plus longs pour obtenir un salaire élevé, alors que c’est l’inverse pour les hommes. Des chercheurs ont ainsi mesuré que la distance de déplacement maximale jugée acceptable pour les mères recherchant un emploi est inférieure de 25 % à celle des pères dans la même situation et en conséquence que le salaire minimal qu’elles attendent est plus bas. Les contraintes liées à la conciliation entre vie professionnelle et familiale peuvent aussi réduire les marges de négociation avec les employeurs et les opportunités salariales. Or, ces contraintes sont vécues de façon très différente entre les femmes et les hommes.
Le volume de travail amplifie les écarts
Les écarts de rémunération mentionnés en début d’article étaient rapportés à un volume de travail égal. Mais le volume de travail des femmes est inférieur à celui des hommes. D’une part, les femmes travaillent plus souvent à temps partiel : cela concerne 30 % d’entre elles, contre 8 % des hommes (secteur privé et fonction publique). D’autre part, parmi les salariés travaillant à temps complet, les hommes travaillent en moyenne plus longtemps : 39,7 heures par semaine, contre 38,4 pour les femmes. Si à volume de travail équivalent (salaire horaire), l’écart de salaire entre les femmes et les hommes est de 16 %, il passe à 24 % en prenant en compte les différences de volume de travail (revenu salarial). Sans compter les interruptions de carrière.
Bref, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ne se résume pas à une égalité de salaire horaire dans le même emploi. ■
Pour en savoir plus
- Thomas Le Barbanchon, Roland Rathelot, Alexandra Roulet, « Gender Differences in Job Search: Trading off Commute Against Wage », septembre 2019
- Laïla Bentoudja, Tiaray Razafindranovona, « Être parent : des cadres aux ouvrières, plus de conséquences sur l’emploi des femmes », Insee Première n° 1795, mars 2020
- Élise Coudin, Sophie Maillard, Maxime Tô, « Entreprises, enfants : quels rôles dans les inégalités salariales entre femmes et hommes ? », Insee Analyses n° 44, février 2019
- Simon Georges-Kot, « Les facteurs d’écart dans la rémunération salariale entre les femmes et les hommes », dans « Emploi, chômage, revenus du travail », Insee Références, édition 2019
- Dominique Meurs, Pierre Pora, « Gender Equality on the Labour Market in France: A Slow Convergence Hampered by Motherhood » Economics and Statistics/Économie et Statistique, 510-511-512, 109–130, 2019
- Pierre Pora, Lionel Wilner, « Les trajectoires professionnelles des femmes les moins bien rémunérées sont les plus affectées par l’arrivée d’un enfant », Insee Analyses n° 48, octobre 2019
- [Vidéo] Le Lab’ datagora : « Les inégalités femmes – hommes sur le marché du travail 8 mars 2020 », Anne Boring, 8 mars 2020
- [Vidéo] Le Lab’ datagora : « Le faible nombre de femmes dans les filières scientifiques », Anne Boring, 9 mars 2020