Partir vivre à la campagne… Mais au fait, c’est où la campagne ?

Temps de lecture : 8 minutes
Alain Bayet, David Lévy, Insee

Télécharger cet article en PDF

Fin 2020, l’Insee a proposé une nouvelle définition du rural, qui rompt avec l’approche précédente centrée en premier lieu sur la ville. Cette nouvelle définition s’appuie sur une « grille de densité » qui tient compte du nombre d’habitants et de la concentration de ces habitants dans l’espace communal. Les communes peu denses et très peu denses au sens de cette grille sont dites rurales : en 2017, un tiers de la population vit dans une commune rurale en France, une proportion dans la médiane des pays européens. Les communes rurales se distinguent selon qu’elles sont ou non sous l’influence d’un pôle d’emploi. Dans le rural sous influence, dit péri-urbain, la population a crû fortement depuis plusieurs décennies et cette croissance s’est poursuivie ces dernières années : + 9 % entre 2007 et 2017. A contrario, la population a diminué dans les communes rurales hors influence et très peu denses : – 2 % sur la même période. Le développement du télétravail pourrait amplifier la croissance démographique du rural péri-urbain.

Au moment où les entreprises définissent des règles durables d’organisation du télétravail pour leurs salariés, certains d’entre eux se posent la question de quitter le cœur des agglomérations pour s’installer à la campagne, dès lors que cela devient compatible avec l’exercice de leur métier. C’est ainsi qu’une banque en ligne propose désormais à ses conseillers de clientèle, jusque-là regroupés en région parisienne, de s’installer dans n’importe quel endroit du territoire (jusqu’à 3 heures de Paris) et de ne venir travailler au siège que deux jours par mois.

Poussés par le désir d’espace, la perspective de devenir propriétaires d’une maison et l’envie de « se mettre au vert », les salariés concernés recherchent de nouveaux lieux de résidence et se posent la question d’aller vivre à la campagne. Mais au fait, c’est où la campagne ? Comment définit-on la France rurale et quels sont les territoires concernés ? Quelles sont les caractéristiques de leurs habitants et comment évoluent-elles ?

Une nouvelle définition du rural

La mission parlementaire Agenda Rural de 2019 s’est traduite par un plan d’action gouvernemental en faveur des territoires ruraux. Une des actions exprimait le souhait que l’Insee propose « une nouvelle définition des espaces ruraux ». Cette définition devait être davantage à même de rendre compte de la diversité de ces territoires, depuis ceux qui se développent autour des villes jusqu’aux plus isolés. Avec ce mandat, l’Insee a mené une large concertation avec les acteurs concernés (représentants d’administrations, chercheurs, etc.) et a proposé une nouvelle définition du rural fin 2020. Cette définition est présentée en détail dans un dossier de l’ouvrage « La France et ses territoires » publié en avril dernier.

La France définit désormais l’espace rural comme l’ensemble des communes « peu denses » ou « très peu denses ». La nouvelle grille de densité classe les communes en quatre niveaux, en s’appuyant sur le nombre d’habitants et leur concentration dans l’espace : c’est désormais l’importance des zones agglomérées au sein des communes qui permet de les caractériser, et non plus la densité communale habituelle (le nombre d’habitants au km²). Prenons l’exemple de la commune d’Arles dans les Bouches-du-Rhône, très étendue mais dont la population n’occupe qu’une petite fraction de l’espace : la densité moyenne y est de 67 habitants au km², bien inférieure à la moyenne française de 104 habitants au km². Cependant, la population, très concentrée sur une partie du territoire de la commune, forme une véritable zone agglomérée de près de 50 000 habitants. Si bien qu’elle est naturellement considérée comme urbaine au sens de la grille de densité.

Ainsi, près de 22 millions de personnes vivent dans une commune rurale en France en 2017. Cette nouvelle définition du rural et de l’urbain, en cohérence avec les orientations retenues au niveau européen, permet de situer la France relativement aux autres pays d’Europe : avec un tiers de sa population vivant dans une commune rurale, la France occupe une position médiane. Toutefois, parmi les pays d’Europe de l’ouest avec une population équivalente (comme l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne ou encore le Royaume-uni), la France fait partie des pays les plus ruraux.

Part de la population vivant dans les territoires ruraux en Europe (en %)

Champ : Union européenne à 28 pays
Source : Eurostat
La carte de France des espaces ruraux

Au sein de cette France rurale, l’Insee a défini quatre types de territoires ruraux. D’abord en distinguant les communes rurales situées autour des grandes villes de celles qui en sont plus éloignées. Les premières forment le rural péri-urbain : il rassemble les communes « sous attraction d’un pôle d’emploi », attraction mesurée par les déplacements domicile-travail. Par opposition, le rural qualifié d’« autonome » regroupe les communes qui sont hors influence d’un pôle ou au sein d’une aire d’attraction de petite taille (moins de 50 000 habitants). Puis, à l’intérieur du rural péri-urbain, on différencie les communes selon qu’elles sont sous forte ou faible influence. Et, au sein du rural autonome, on sépare les communes très peu denses des communes peu denses.

Sur la carte ci-dessous, les communes urbaines sont en rouge ou rose : à peine une commune sur huit est urbaine, mais deux tiers des Français y habitent. En vert pâle et vert clair figurent les communes rurales sous attraction des plus grandes villes, constituées des communes les plus denses : c’est la campagne à proximité (plus ou moins immédiate) de la ville. Au sein de ce rural péri-urbain, on distingue les communes « sous forte influence d’un pôle » (celles dont au moins 30 % des actifs occupés travaillent dans le pôle) des communes « sous faible influence d’un pôle ». Concrètement, ces communes rurales sous l’influence d’un pôle regroupent aujourd’hui 19 % de la population. En Île-de-France, elles couvrent 58 % du territoire pour à peine 5 % de la population francilienne.

Source : Insee, recensement de la population 2017

Les autres communes rurales, en vert foncé ou très foncé sur la carte, sont par définition plus éloignées des grands pôles d’emploi : on y trouve à la fois des communes très peu denses (ce que l’on pourrait appeler le « rural profond »), et des communes peu denses, qui se révèlent en moyenne plus faciles d’accès (cf. infra). Ce rural autonome regroupe 14 % de la population et couvre 56 % du territoire.

Parmi les 8 100 communes très peu denses figurent de nombreuses communes de montagne mais aussi en plaine s’étalant sur une diagonale du sud-ouest au nord-est. Avec moins de 200 habitants en moyenne, la plupart de ces communes sont peu connues, même si certaines sont associées à une appellation du « terroir » (comme Saint-Nectaire) ou à une petite station de sports d’hiver (comme Saint-François-Longchamp).

Les 8 000 communes peu denses sont très présentes dans le Grand ouest (contrairement aux communes très peu denses), leur taille moyenne est de près de 1 000 habitants. Dans les territoires les moins urbanisés comme en Bourgogne Franche-Comté, en ex-Auvergne ou Limousin, ou encore dans la campagne bretonne ou normande, ces communes sont proches des pôles urbains. À l’inverse, dans les territoires plus urbanisés comme le Nord-Pas-de-Calais, l’Alsace, les Bouches-du-Rhône ou la Haute-Garonne, il faut en général parcourir davantage de kilomètres depuis un grand pôle pour en trouver. On n’en trouve aucune en Île-de-France et les plus proches de Paris sont situées aux confins du Loiret et de l’Yonne, à l’est dans l’Aube et la Marne ou à l’ouest entre l’Eure et l’Eure-et-Loir.

Prenons l’exemple de la région autour de Lyon, Saint-Étienne et Clermont-Ferrand. La morphologie des territoires est très différente entre ces trois villes. À Lyon, l’étalement urbain est important dans toutes les directions, et forme presque un continuum avec Saint-Étienne, si bien que les communes rurales sous forte influence du pôle (en vert clair) sont peu nombreuses à proximité ces deux agglomérations, contrairement à Clermont-Ferrand. En revanche, les communes rurales sous faible influence du pôle sont tout aussi nombreuses pour Lyon, grande métropole avec une couronne très étendue, que pour Clermont-Ferrand, mais pas pour Saint-Étienne.

Source : Insee, recensement de la population 2017
Quelle dynamique de population dans la France rurale ?

La dynamique démographique de long terme n’est pas la même dans le rural péri-urbain et le rural autonome. Le premier profite depuis longtemps d’une forte dynamique démographique. Les pôles concentrent toujours les emplois et une bonne partie de la population, mais la croissance de la population est depuis plusieurs décennies nettement plus élevée dans la périphérie des pôles d’emploi que dans les pôles eux-mêmes. Cette « péri-urbanisation » a été rendue possible par le développement des transports individuels facilitant les déplacements domicile-travail. En particulier, le taux d’équipement en voiture est passé de 50 % en 1968 à plus de 80 % aujourd’hui. Avec l’augmentation d’un tiers de la population française sur cette période, les aires d’attraction des villes se sont étendues. La carte qui suit révèle les très fortes disparités entre les territoires où la population a augmenté depuis 1975 (en rouge) et ceux où elle a diminué (en bleu).

Évolution annuelle moyenne de la population entre 1975 et 2017 (en%)

Source : Insee, recensements de la population

Depuis 1975, sous le double effet de la recherche d’espace et de l’évolution des prix immobiliers, la croissance de la population est plus rapide en dehors des pôles et plus particulièrement dans les communes rurales. Par exemple, entre 2007 et 2017, la population a augmenté de 6 % dans les communes rurales contre 4 % dans l’urbain. Au sein du rural, l’augmentation est bien plus forte dans les communes rurales péri-urbaines (+ 9 %) que dans le rural autonome (+ 2 %). La population ne baisse que dans les communes rurales très peu denses. Cette baisse tient notamment à ce que peu de jeunes couples et de familles s’y installent, ce qui explique que les décès soient plus nombreux que les naissances. Dans les communes peu denses, la situation est plus contrastée et globalement l’évolution démographique est plus favorable.

Cette dynamique de population dans le rural témoigne de la poursuite de la péri-urbanisation et se caractérise notamment par des déménagements de plus en plus nombreux de l’urbain vers le rural. Le développement du télétravail pourrait encourager davantage de ménages à déménager dans des communes rurales sous l’attraction des villes. En effet, en diminuant le temps passé dans les transports, le télétravail améliore la qualité de vie des salariés installés dans les communes rurales qui travaillent dans un pôle. En conséquence, la croissance démographique des communes rurales péri-urbaines, déjà observée ces dernières années, pourrait s’amplifier. On pourrait assister également à un développement des aires d’attraction des villes, c’est-à-dire à un étalement des tâches en vert clair sur la carte.

Dans des cas extrêmes de télétravail dominant, comme celui présenté en introduction, le rural autonome pourrait devenir attractif, plus seulement pour les retraités, mais aussi pour certains actifs. C’est la dynamique de la population dans ces communes rurales autonomes peu denses qu’il sera particulièrement intéressant d’observer dans les années qui viennent. Au-delà de l’envie d’espace et de verdure, d’autres facteurs pourront intervenir dans le choix des ménages, notamment pour les jeunes actifs : la facilité d’accès par la route ou le train (les jours où il faut se déplacer sur le lieu de travail), la proximité des lieux d’études secondaires et supérieures pour leurs enfants, l’accès aux loisirs, etc.

Pour en savoir plus :

Partager