L’arithmétique de la crise : bien comprendre les chiffres de croissance en temps de Covid-19

L’arithmétique de la crise : bien comprendre les chiffres de croissance en temps de Covid-19

Entre le printemps 2020 et l’été 2021, la crise du Covid-19 a entraîné de manière totalement exogène des mouvements économiques très soudains et d’une ampleur inouïe. Pour rendre compte au mieux de cette situation inédite, l’Insee a dû rapidement adapter ses méthodes de suivi conjoncturel. En particulier, et notamment au cours des confinements, c’est l’estimation du niveau « instantané » de l’activité qui a été privilégiée, davantage que ses évolutions au trimestre le trimestre. Au moment où le PIB français revient peu ou prou à son niveau d’avant-crise, ce billet donne quelques clés pour bien interpréter les chiffres phares dont la publication ponctue l’analyse conjoncturelle.

Au début de la crise : estimer le niveau « instantané » de l’activité économique

Quand, en temps normal, les taux de croissance trimestriels puis annuels suffisent à résumer les évolutions conjoncturelles de l’activité, la soudaineté et l’ampleur de la crise ont conduit en 2020 l’Insee à resserrer la fréquence de ses analyses en les centrant sur l’estimation en temps quasi-réel du niveau « instantané » du PIB. L’enjeu lors de l’instauration du premier confinement mi-mars était en effet d’estimer quelle part de l’économie française fonctionnait encore et quelle part était à l’arrêt.

Le 26 mars 2020, l’Insee estimait ainsi qu’un tiers environ de l’économie était à l’arrêt. Cet ordre de grandeur a ensuite été globalement confirmé quand davantage d’informations ont été disponibles. Cet arrêt a entraîné une baisse du PIB d’à peu près 6 % au premier trimestre 2020 ; mais ce recul exprimé en variation trimestrielle, où l’activité du premier trimestre 2020 est comparée à celle du dernier trimestre 2019, reflétait essentiellement la chute des 15 derniers jours de mars.

Adapter la fréquence des analyses à la spécificité de la crise

Car le premier trimestre 2020 agrégeait deux états du monde différents, et en soi l’information de la baisse trimestrielle de 6 % ne suffisait pas à décrire la chronique temporelle très singulière de l’activité économique, laquelle avait basculé en quasiment une journée, celle du 17 mars. Par la suite, en mobilisant des données à haute fréquence (en particulier les montants agrégés de transactions par cartes bancaires CB), l’Insee a tenté de suivre l’activité économique et notamment la consommation des ménages à la semaine la semaine voire au jour le jour lorsque c’était nécessaire. Puis progressivement, quand les mouvements économiques sont devenus un peu moins brusques, les Notes de conjoncture de l’Insee ont adopté un pas mensuel, estimant le niveau d’activité économique de chaque mois, toujours en écart par rapport à celui d’avant-crise.

Choisir la « bonne » période de comparaison

Dans la plupart des analyses conjoncturelles de l’Insee, c’est le quatrième trimestre 2019 qui a été choisi comme référence pour le niveau d’activité d’avant-crise. Il s’agit en effet du dernier trimestre « entier » à ne pas avoir été affecté par la pandémie. Ce choix était donc le plus naturel, mais il faut tout de même avoir à l’esprit que, comme chaque trimestre, celui-ci avait ses particularités : il a, entre autres, été marqué par d’importantes grèves dans les transports, et in fine par une légère baisse du PIB de l’ordre de – 0,4 % par rapport au trimestre précédent. D’autres choix de référence étaient possibles : considérer le niveau moyen d’activité de l’ensemble de l’année 2019 ou bien celui du dernier mois avant l’irruption de la pandémie en France, soit février 2020. C’est d’ailleurs cette dernière référence qui a été utilisée pour certains indicateurs sectoriels mensuels comme l’indice de la production industrielle ou encore l’indice de production dans les services (tous deux publiés dans la collection Informations Rapides de l’Insee).

Par ailleurs, quelle que soit la convention choisie, le niveau d’avant-crise ne correspond pas à la situation dite « contrefactuelle », c’est-à-dire à ce qui aurait été observé en 2020 et 2021 en l’absence de pandémie : l’économie aurait en effet sans doute progressé pendant ces deux années. Dans la Note de conjoncture de juillet 2021, le « terrain perdu » par rapport à la trajectoire tendancielle est ainsi estimé à environ un point et demi de PIB, une estimation qui pourra être revue en fonction des résultats des comptes nationaux pour les prochains trimestres.

Retour au niveau d’avant-crise : « d’ici la fin de l’année 2021 » ne veut pas dire « en moyenne en 2021 »

Les dernières Notes de conjoncture de l’Insee prévoient un retour du PIB français à son niveau d’avant-crise d’ici la fin de l’année. Il s’agit bien là du niveau « instantané » du PIB. En moyenne annuelle, la croissance de 2021 serait forte : + 6 ¼ % prévu pour l’instant par rapport à l’année 2020 dans son ensemble, après – 8 % en 2020 par rapport à 2019 ; mais cette croissance resterait tout de même affectée par les restrictions sanitaires en vigueur au premier semestre.

Le graphique ci-dessous illustre bien ces résultats. On y visualise le niveau de l’activité en écart au niveau d’avant-crise selon trois périodicités : par mois, par trimestre et par an. Le point de départ, point « zéro », est celui du quatrième trimestre 2019 choisi comme référence. La courbe grise présente le niveau de l’activité au mois le mois en écart à ce point de référence. Les barres bleues puis les traits orange s’en déduisent en calculant les moyennes trimestrielles et annuelles. Pour chaque année, l’écart moyen au niveau d’avant-crise est ainsi la moyenne des douze points mensuels (ou des quatre points trimestriels).

Si, en prévision (après le trait pointillé), la courbe grise mensuelle rejoint bien d’ici la fin 2021 le niveau « instantané » de PIB d’avant-crise, la moyenne annuelle 2021, certes bien supérieure à celle de 2020 (et pour cause !) porte tout de même le poids des restrictions sanitaires graduellement levées en mai-juin. C’est pourquoi, en moyenne, le PIB de 2021 reste environ 2 % en deçà de son niveau d’avant-crise.

Figure 1 – Estimations et prévisions des pertes d’activité économique (PIB) par rapport au 4e trimestre 2019 (écart en %)

Source : Insee, Note de conjoncture du 6 octobre 2021.

La forte croissance prévue entre le 2e et le 3e trimestre 2021 reflète la chronique mensuelle d’activité d’avril à septembre

L’Insee publiera ce vendredi 29 octobre les premiers résultats des comptes nationaux pour le troisième trimestre 2021. Pour ce trimestre, la croissance prévue dans les Notes de conjoncture publiées depuis début septembre est élevée (+ 2,7 %), davantage que celle mesurée au deuxième trimestre (+ 1,1 %). Le troisième trimestre a en effet été le premier à profiter à plein de la réouverture des secteurs administrativement fermés ou contraints.

Mais en regardant les choses avec une loupe mensuelle, c’est sans doute en mai-juin que l’accélération de l’activité a été la plus forte (cf. figure 1). Cette accélération est directement liée aux réouvertures graduelles du printemps dernier, mais elle n’est pas « mécanique » pour autant : elle doit sans doute beaucoup aux mesures d’urgence et de soutien qui ont globalement préservé le tissu productif et les revenus des ménages.

Du signal et du bruit

En l’absence de nouvelles restrictions sanitaires, le pas trimestriel (et non plus mensuel) devrait sans doute redevenir le cadre privilégié pour l’analyse conjoncturelle, du moins celle des grands agrégats macroéconomiques mesurés par la comptabilité nationale. Car plus la granularité temporelle est fine, plus les données sont susceptibles d’être « bruitées » ! Ce bruit pouvant provenir soit d’imprécisions de mesure, soit de la volatilité réelle des phénomènes.

Quand le signal était de très grande ampleur, comme au moment des confinements et déconfinements, le rapport signal/bruit était très favorable. Avec le retour à une situation plus normale, ce rapport se dégrade naturellement et l’estimation au mois le mois des grands agrégats devrait perdre un peu de sa pertinence. Cela dit, les données mensuelles, dont notamment les résultats des enquêtes de conjoncture et les indices d’activité dans l’industrie et les services, continueront de fournir, comme avant la crise, des informations avancées précieuses pour le diagnostic conjoncturel. Et l’Insee continuera à mobiliser celles des données à haute fréquence qui semblent les plus prometteuses (dont le rapport signal/bruit devrait rester favorable), comme les montants agrégés de transactions par cartes bancaires CB : ceux-ci retracent en effet directement et en temps quasi réel les achats de biens et services qui constituent une partie de la consommation des ménages telle qu’elle sera ensuite mesurée par les comptes nationaux.

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