Termes de l’échange et revenu intérieur réel : mesurer le pouvoir d’achat de la nation

Termes de l’échange et revenu intérieur réel : mesurer le pouvoir d’achat de la nation

Aujourd’hui, en France, les prix des produits importés, notamment les produits énergétiques, augmentent bien davantage que les prix de nos exportations. De ce fait, les termes de l’échange, c’est-à-dire le rapport entre les prix des exportations et les prix des importations, diminuent. Par le passé, les termes de l’échange ont pu varier fortement, souvent en lien avec les prix de l’énergie. Pour en apprécier les conséquences, il est intéressant de mesurer un « revenu intérieur réel ». Cette notion complète de façon utile l’indicateur usuel de croissance du PIB (produit intérieur brut) en volume en ce qu’elle permet de suivre l’évolution du pouvoir d’achat de la nation. Par exemple, lors de la grande crise pétrolière du début des années soixante-dix, le revenu intérieur brut réel ne progresse que de 1,5 % en 1974, alors que le PIB réel augmente de 4,3 %. Mais il est quasi stable en 1975, alors que le PIB se contracte de 1 %, car les termes de l’échange se réorientent un peu à la hausse cette année-là. Sans atteindre ces niveaux, les termes de l’échange se dégradent aussi nettement en 2022.

L’inflation dans sa diversité (2/2)

L’inflation qui caractérise la conjoncture actuelle est à l’origine une inflation importée, qui porte notamment sur les produits énergétiques comme le pétrole et le gaz naturel. Elle s’accompagne donc pour la France d’un recul important des « termes de l’échange », entendus ici comme le rapport entre le prix des produits exportés et le prix des produits importés. Grâce aux déflateurs des comptes nationaux (cf. Amoureux et al, 2022), on peut quantifier ces évolutions des termes de l’échange.

Les prix de l’énergie, principal déterminant passé des termes de l’échange

En France, le principal canal de variation des termes de l’échange tient historiquement aux prix des combustibles fossiles. Cela est dû à leur forte volatilité et au fait que la France en est fortement importatrice. Les cours mondiaux des produits énergétiques, souvent résumés par le cours du baril de pétrole, expliquent ainsi la part majeure des variations des prix des importations (figure 1).

Figure 1 – Évolutions annuelles des cours du baril de Brent et des déflateurs des importations énergétiques et totales (biens et services)

Évolutions annuelles des cours du baril de Brent (en euros) et des déflateurs des importations énergétiques et totales (biens et services)
Cours du Brent : moyenne mensuelle du cours de Londres en USD et taux de change FMI (IFS).
Note : la branche « énergie, eaux, déchets » (A17DE) inclut les hydrocarbures bruts, prépondérants dans les importations, mais pas les importations de cokéfaction-raffinage (A17C2).
Source : Insee, comptes nationaux, Cours du Brent et Note de conjoncture du 24 juin (prévision 2022).

Pour évaluer l’ensemble des effets de termes de l’échange cependant, il faut aller au-delà du rôle du pétrole et même de l’énergie en général et prendre en compte les évolutions de prix de l’ensemble des biens et services échangés. Cela conduit à définir les termes de l’échange comme le rapport entre le déflateur des exportations et le déflateur des importations, tels qu’ils ressortent des comptes nationaux (figure 2). Prendre en compte tous les biens et services ne conduit pas à relativiser l’importance des prix énergétiques : sur les 50 dernières années, la très nette dégradation des termes de l’échange observée lors des chocs pétroliers de 1974 et 1980-1981, et le retour partiel du contre-choc de 1986 restent les principaux mouvements en la matière.

Les termes de l’échange tels qu’ils ont été ici définis (rapport entre le déflateur des exportations et celui des importations) sont étroitement liés à une autre notion souvent mise en avant, celle de termes de l’échange intérieur. Ces derniers correspondent au rapport entre le déflateur du PIB et le déflateur de la demande intérieure finale. Comme le PIB et la demande intérieure finale ne diffèrent que par les échanges extérieurs, les deux notions des termes de l’échange ne diffèrent que d’un facteur de dilatation qui dépend de la part des échanges extérieurs dans le PIB.

Figure 2 – Termes de l’échange et termes de l’échange intérieur

Termes de l'échange et termes de l'échange intérieur
Note : les termes de l’échange sont le rapport du déflateur des exportations au déflateur des importations ; les termes de l’échange intérieur sont le rapport du déflateur du PIB au déflateur de la demande intérieure finale.
Source : Insee, comptes nationaux et Note de conjoncture du 24 juin (prévision 2022).

La comptabilité nationale permet ainsi de capter l’ensemble des variations des prix des produits échangés. Par exemple l’augmentation des cours mondiaux de matières et de produits agricoles renchérit le coût des importations mais elle accroît aussi les prix de vente de nos exportations puisqu’à la différence des énergies fossiles, la France est aussi fortement exportatrice de tels produits. On constate au reste que les effets défavorables de hausse du prix relatif des importations s’accompagnent presque toujours de mouvements parallèles mais de moindre ampleur du prix relatif des exportations (figure 3).

Figure 3 – Évolutions des rapports entre les déflateurs des échanges extérieurs et le déflateur du PIB

Évolutions des rapports entre les déflateurs des échanges extérieurs et le déflateur du PIB
Source : Insee, comptes nationaux et Note de conjoncture du 24 juin (prévision 2022).

Les termes de l’échange contribuent aux évolutions du revenu national

L’effet macroéconomique des termes de l’échange peut être calculé en tenant compte des pondérations du commerce extérieur et de la demande intérieure dans le PIB (figure 4). Cela permet de faire apparaître l’effet net des termes de l’échange en distinguant les « gains » (ou pertes) réalisés par nos fournisseurs étrangers et les quantités similaires pour les exportateurs français.

On l’a vu, les variations des termes de l’échange sont étroitement liées aux fluctuations des prix de l’énergie, en particulier du pétrole, et plus largement du prix des matières premières. Les « chocs » de termes de l’échange (figure 4) ont ainsi représenté un prélèvement sur le revenu national de près de 3 points de PIB en 1974 (1er choc pétrolier) et de près de 1,5 point de PIB en 1979 comme en 1980, soit un total de 2,8 points de PIB pour les deux années ; tandis que le contre-choc de 1986 a équivalu à un gain de revenu national réel de l’ordre de 2 points de PIB (figure 4). Les évolutions depuis sont plus mesurées mais la hausse récente des prix de l’énergie constitue un choc d’ampleur très significative, bien qu’à ce stade inférieure au premier choc pétrolier. En 2022, selon les prévisions de la Note de Conjoncture de juin, les termes de l’échange pèseraient nettement sur les revenus des agents nationaux, pour environ 1,5 point de PIB, du fait d’une accélération des prix plus marquée pour les importations que les exportations.

Figure 4 – Effets des termes de l’échange (en points de PIB)

Effets des termes de l'échange (en points de PIB)
Source : Insee, comptes nationaux et Note de conjoncture du 24 juin (prévision 2022).

Le « revenu intérieur brut réel », une mesure du pouvoir d’achat national

Dans une économie fermée, le revenu national coïncide exactement avec le PIB, et la variation du pouvoir d’achat du revenu est nécessairement identique à la croissance en volume du PIB. En économie ouverte en revanche, les variations des termes de l’échange font que la croissance du PIB ne s’identifie pas exactement à l’évolution de la capacité d’achat des résidents. Si par exemple le prix des exportations augmente moins que celui des importations, la variation de pouvoir d’achat de la nation est plus faible que la variation de sa production calculée par le PIB en volume.

Les normes de comptabilité nationale comportent bien la notion de revenu intérieur réel (cf. Système européen des comptes, §10.46-47), même si elles ne définissent pas celle-ci de manière complètement univoque. On peut donner une bonne image de la croissance de ce revenu intérieur réel en ajoutant à l’évolution du PIB l’effet présenté plus haut des variations des termes de l’échange. Du fait des relations étroites entre déflateurs mentionnées plus haut, on peut montrer que cela revient à déflater le PIB nominal, qui mesure les revenus produit intérieurement dans l’économie, par l’indice des prix de la demande intérieure finale, c’est-à-dire les biens et services que les agents économiques cherchent à acheter. La construction est ainsi analogue à celle du pouvoir d’achat des ménages, qui fait le ratio entre leur revenu disponible brut et le déflateur de la consommation. Cela conduit à une série un peu différente de la croissance usuelle du PIB en volume (figure 5). L’évolution du revenu intérieur brut réel tombe ainsi à 1,5 % en 1974 (contre 4,3 % pour le PIB réel) mais elle est quasi-nulle en 1975 (contre une contraction de 1 %) car les termes de l’échange se sont réorientés un peu à la hausse cette année-là.

Figure 5 – Croissance du PIB et du revenu intérieur brut réels

Croissance du PIB et du revenu intérieur brut réels
Source : Insee, comptes nationaux et Note de conjoncture du 24 juin (prévision 2022).

Quand on s’intéresse aux effets macroéconomiques de ces fluctuations des termes de l’échange, il faut donc distinguer soigneusement deux choses :

  • D’une part, les variations des termes de l’échange induisent comme on l’a dit un mouvement du revenu réel, et ceci avant toute éventuelle réaction de la croissance. Même si la croissance en volume du PIB n’était pas affectée par un choc pétrolier, il n’en resterait pas moins que le pouvoir d’achat national serait réduit par un tel choc, et c’est cela que mesure la variation des termes de l’échange ;
  • D’autre part, les conséquences pour la croissance du PIB des chocs de termes de l’échange – typiquement négatives dans le cas d’une hausse des prix de l’énergie importée, et vice versa.

Alors que seul le deuxième effet est pris en compte dans l’évolution du PIB en volume, les deux effets se conjuguent dans le calcul de l’évolution du revenu intérieur réel.

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