Qui a confiance dans les chiffres de l’Insee ?

Qui a confiance dans les chiffres de l’Insee ?

L’Insee conduit régulièrement des baromètres auprès de différents publics, afin de mesurer sa notoriété et son image d’une part, la satisfaction des utilisateurs de ses données d’autre part. Pour plus de 8 répondants sur 10 en 2023, l’institut inspire confiance et produit des informations indispensables à l’analyse de la situation économique et sociale. Derrière ce haut niveau global de confiance, certains écarts attestent des progrès restant à faire, notamment auprès des citoyens les moins connectés et les moins diplômés, pour des statistiques plus accessibles, plus faciles à trouver et à comprendre.

En 2023, le dispositif a été complété par un volet innovant construit avec deux chercheurs en sociologie afin d’identifier et de quantifier les facteurs de confiance ou défiance dans les indicateurs publiés par l’Insee. Premier enseignement de ce volet, les Français évaluent plutôt bien le niveau des indicateurs phares décrivant l’économie et la société, à de rares exceptions près qui s’expliquent soit par la complexité des mesures (cas par exemple du salaire), soit par la faible occurrence de la notion dans le débat public (cas de la proportion des personnes sans religion). Deuxième enseignement, la confiance dans l’institut augmente avec le diplôme et le revenu. Enfin, la sensibilité de la confiance a été testée sur des critères propres à cette enquête innovante : l’orientation politique influerait le plus la confiance dans les indicateurs, tandis que la sensibilité aux théories du complot ne jouerait qu’un rôle très modeste. Par ailleurs, un style de pensée davantage analytique qu’intuitif est associé à de moindres erreurs sur les valeurs testées.

L’Insee réalise ou commandite différentes enquêtes afin de mesurer année après année son degré de notoriété, la qualité de son image auprès du public et la satisfaction des utilisateurs de ses données, publications et produits. L’institut interroge ainsi tous les mois depuis juin 2017 les visiteurs de son site internet insee.fr. Il commandite également deux enquêtes annuelles auprès du grand public, l’une réalisée en ligne et l’autre par téléphone auprès d’un public utilisant peu ou pas internet. Chaque année, environ 25 000 d’entre vous donnent ainsi leurs évaluations, avis et suggestions. Complété par d’autres mesures de la satisfaction à l’occasion des échanges directs entre l’Insee et ses usagers, le dispositif alimente différents indicateurs de performance et de qualité de service, qui sont affichés en toute transparence comme cela est exigé des différents services publics.

Globalement, un bon niveau de confiance dans l’Insee

Points positifs, l’Insee est utile pour 9 répondants sur 10, il inspire confiance et produit des informations indispensables à l’analyse de la situation économique et sociale pour 8 répondants sur 10 (figure 1). Sa notoriété et son image sont particulièrement fortes au sein de la population connectée à internet : plus de 9 répondants sur 10 connaissent l’Insee, a minima de nom ; 9 sur 10 également en ont une assez bonne ou très bonne image. C’est moins le cas parmi les peu ou pas connectés : 7 répondants sur 10 connaissent l’institut et 6 sur 10 déclarent une opinion favorable.

Figure 1 – Opinion sur l’Insee en décembre 2023

Opinion sur l’Insee en décembre 2023
Note : les « ne se prononcent pas » sont additionnés aux avis négatifs dans le complémentaire à 100.
Lecture : pour 88 % des personnes interrogées en décembre 2023, l’Insee est un organisme utile.
Source : enquête Image auprès du grand public en ligne, Harris Interactive.

Du côté des autres instituts nationaux de statistique (INS), la mesure de la satisfaction envers le site internet de diffusion ou envers ses produits et services est assez répandue. Mais la mesure de la satisfaction globale et de la confiance envers les INS est plus rarement affichée. L’ONS (Royaume-Uni) publie ainsi, selon une enquête achevée début 2024, un taux de 84 % d’utilisateurs le jugeant digne de confiance, tandis qu’Istat (Italie) affiche un niveau de confiance dans les statistiques à 93 %, selon une enquête consacrée à son site internet fin 2022. Eurostat, qui a un rôle différent, délivre dans son baromètre d’octobre 2023 (réalisé auprès de 26 000 citoyens de l’UE) des scores de 69 % pour sa notoriété, 67 % pour la confiance dans les statistiques et données qu’il fournit et 65 % pour leur objectivité et impartialité.

Pour l’Insee, au-delà de la mesure rassurante de la confiance globale, l’examen plus détaillé de la confiance dans les différents indicateurs esquisse un tableau plus contrasté. Les avis et suggestions des usagers sont d’autant plus précieux qu’ils nous permettent d’identifier des axes de progrès.

Premier axe de progrès, sur certains indicateurs : mieux faire savoir

Population, nombre d’enfants par femme : année après année, la confiance dans les indicateurs sociodémographiques est généralement forte (figure 2). Elle est plus basse concernant les indicateurs économiques, notamment le taux de chômage, l’inflation et le pouvoir d’achat.

Figure 2 – Confiance dans les indicateurs de l’Insee en décembre 2023

Confiance dans les indicateurs de l’Insee en décembre 2023
Note : les « ne se prononcent pas » sont additionnés aux avis négatifs dans le complémentaire à 100.
Lecture : pour 77 % des personnes interrogées en décembre 2023, le chiffre de population reflète bien la réalité en France.
Source : enquête Image auprès du grand public en ligne, Harris Interactive.

Les verbatims associés aux évaluations négatives expriment différents types de critiques : certaines pointent les limites des indicateurs ou des manques d’informations complémentaires dus par exemple à des obstacles techniques, réglementaires ou budgétaires, d’autres regrettent l’absence de données qui existent pourtant, mais parfois difficiles à trouver au sein de l’offre abondante disponible sur insee.fr.

Par exemple :

• La confusion entre le taux de chômage calculé par l’Insee suivant les règles du Bureau international du travail et les comptages des demandeurs d’emploi publiés par France Travail, décortiquée sur ce même blog (Passeron, 2022).

• Les critiques sur la composition du panier qui permet de mesurer l’inflation, ou plus directement sur le niveau même de l’inflation calculée par l’Insee.

Ce que cela dit, et que vous confirmez par ailleurs : nous devons progresser pour vous informer sur nos activités, et vous aider à trouver ces informations. Ainsi, près de 7 personnes sur 10 du grand public connecté et moins de la moitié des peu connectés considèrent que l’Insee communique bien sur ses activités, un résultat certes en progression mais loin d’être satisfaisant. Une proportion du même ordre considère nos informations faciles à trouver, les autres éprouvant notamment des difficultés à faire le tri dans les nombreuses données disponibles.

Deuxième axe de progrès, mieux communiquer pour être mieux compris de chacun d’entre vous

Ceux d’entre vous qui nous font le moins confiance sont les moins « connectés » : l’Insee inspire confiance à 6 personnes peu ou pas connectées sur 10, sachant que 4 sur 10 sont intéressées par nos informations et 2 sur 10 seulement connaissent nos missions. Du côté des connectés, la confiance dans l’Insee varie surtout selon le niveau de diplôme, culminant à 9 titulaires d’un « bac +5 » sur 10 et réduite à 7 non diplômés sur 10. La confiance s’améliore légèrement avec l’âge, accordée par environ 75 % des moins de 35 ans et 82 % des 35 ans et plus, les écarts étant très faibles au sein de ces deux catégories. Enfin la catégorie socioprofessionnelle ne joue pas sur la confiance, aucune catégorie ne s’éloignant des 80 %.

La mesure de ces écarts renforce la nécessité pour l’institut d’investir pour mieux toucher les différents publics. Les publications statistiques peinent parfois à résumer, simplifier, ou proposer des raccourcis, mais c’est aussi parce qu’elles ont à rendre compte de réalités complexes. Proposer des écrits lisibles pour le plus grand nombre est un défi constant pour l’Insee et la statistique publique. Quant à l’ergonomie de nos sites et applications ouverts au public, la refonte à venir du site insee.fr visera à simplifier l’expérience utilisateur (démarche « UX »), tout en poursuivant les améliorations dans le domaine de l’accessibilité numérique.

De l’expertise sociologique pour mieux cerner les déterminants de la confiance

Fin 2023, les enquêtes habituelles sur la notoriété et l’image de l’Insee ont été complétées par une enquête inédite, construite avec deux chercheurs en sociologie : le professeur Bronner et le docteur Cordonier. Celle-ci a intégré des questions nouvelles et une façon différente d’aborder la confiance dans les indicateurs, afin de mieux comprendre les facteurs qui influent sur cette confiance. Ce volet complémentaire a été conduit en ligne auprès de 2 000 personnes par un prestataire externe.

Pour 17 indicateurs publiés par l’Insee (les 11 indicateurs de l’enquête classique, la fécondité immigrée et la part des différentes religions dans la population), les personnes devaient d’abord indiquer quelle était, selon elles, la valeur de l’indicateur en France. Puis, leur était communiquée la valeur publiée par l’Insee ; elles devaient alors indiquer si selon elles, ce chiffre reflétait réellement ce qui se passe en France, sur une échelle de 1 à 10.

Première surprise de l’enquête, finalement, sur beaucoup d’indicateurs et notamment les plus médiatiques comme le taux de chômage, le taux de croissance ou l’inflation, la réponse spontanée des répondants est bonne, traduisant une bonne culture générale sur ces sujets. L’estimation spontanée du salaire moyen, en revanche, est très inférieure à celui publié par l’institut, de près de 1 000 euros. Ceci peut s’expliquer par de nombreux facteurs, dont la difficile prise en compte du temps partiel et la complexité de la notion de salaire, qui peut être approchée par plusieurs mesures : salaire brut, salaire net, salaire perçu après impôt, tenant compte ou pas du temps de travail, etc. La répartition de la population par religion est une autre donnée mal estimée spontanément par les personnes interrogées. La proportion de personnes se déclarant sans religion, dont on entend de fait peu parler, est notamment très largement sous-estimée à une personne sur quatre, alors qu’elle concerne plus d’une personne sur deux entre 18 et 59 ans selon le dernier chiffre disponible.

La seconde surprise est plutôt une bonne nouvelle pour l’institut : pour chaque indicateur, les personnes interrogées ont en moyenne confiance dans la valeur qui leur est communiquée. Plus généralement, la confiance dans les 17 indicateurs est très corrélée avec la confiance générale en l’Insee, sans qu’il soit possible de déterminer laquelle explique l’autre. Dans le détail, plus une personne est diplômée et plus ses revenus sont élevés, plus sa confiance dans l’Insee et dans la plupart des indicateurs est grande. De façon étonnante, l’âge joue de façon contradictoire : les personnes plus âgées ont une plus grande confiance générale dans l’institut, mais légèrement moindre à l’égard d’un certain nombre d’indicateurs.

Cette enquête a également abordé des paramètres nouveaux : l’orientation politique des personnes interrogées, leur style de pensée plutôt analytique (réflexion lente et délibérée) ou davantage intuitif (réflexion rapide et instinctive), ainsi que leur sensibilité aux théories du complot. Le style de pensée des répondants a été évalué au moyen de tests couramment utilisés en psychologie cognitive, consistant en de courtes énigmes dont chacune possède une réponse intuitive fausse et une réponse non intuitive correcte (Frederick, 2005 ; Thomson et Oppenheimer, 2016). Afin d’évaluer la sensibilité des participants aux croyances complotistes, ils ont eu à répondre au « Questionnaire de mentalité complotiste » (Bruder et al., 2013), une échelle psychométrique standardisée dans laquelle les répondants ont à se positionner par rapport à cinq affirmations génériques du type : « Il existe des organisations secrètes qui influencent considérablement les décisions politiques ».

À profil sociodémographique identique, le style de pensée intuitif/analytique explique significativement la sur – ou sous – évaluation d’un ensemble d’indicateurs : taux de chômage, taux d’inflation, salaire moyen, taux de croissance, natalité, sans religion. En l’occurrence, les personnes ayant un style de pensée analytique sur – ou sous – évaluent moins ces indicateurs.

Si on s’intéresse cette fois à la confiance dans les indicateurs, et toujours à profil sociodémographique identique, l’orientation politique est le paramètre qui aurait le plus d’impact. Ainsi, par rapport aux personnes qui se sentent proches du centre, celles qui ne savent pas de quelle orientation politique elles sont proches, qui déclarent ne pas avoir de proximité politique, ou qui se revendiquent proches de l’extrême-droite, ont moins confiance en de nombreux indicateurs : taux d’inflation, taux de croissance, pouvoir d’achat, pauvreté, déficit annuel, taux de sans religion, natalité des immigrées, nombre d’immigrés. C’est aussi le cas des personnes proches de l’extrême gauche et de la gauche, en ce qui concerne le salaire moyen et le taux de chômage.

La sensibilité aux théories du complot ne jouerait, elle, jamais significativement, sauf pour la confiance dans le taux de déficit public annuel (sur lequel elle joue néanmoins beaucoup moins que l’orientation politique). La position déontologique de l’Insee, ses valeurs de neutralité et d’objectivité semblent ainsi bien comprises et intégrées par les Français. Mais maintenir voire améliorer la confiance des citoyens dans les travaux qu’il mène reste une préoccupation constante pour l’Insee : c’est une condition indispensable à la production de statistiques fiables et qui soient utiles au débat public.

Pour en savoir plus

Crédits photo : © frender – stock.adobe.com

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