Carnet de bord d’une opération exceptionnelle : le recensement 2025 de Mayotte

Carnet de bord d’une opération exceptionnelle : le recensement 2025 de Mayotte

Du 27 novembre 2025 au 10 janvier 2026 se déroulera la collecte auprès des habitants du recensement exhaustif de Mayotte. Décidée quelques semaines après le passage du cyclone Chido, cette opération statistique exceptionnelle par son ampleur mais surtout par sa rapidité de mise en œuvre a nécessité au sein de l’Insee et des communes une préparation minutieuse. Elle a conduit à relever de nombreux défis : mettre à jour la carte la plus complète possible des logements de l’île, préparer la logistique de la collecte auprès des habitants, sensibiliser la population à l’importance du recensement, adapter son cadre légal.


Mayotte, département « à part entière et entièrement à part »[Ris, 2024], est un territoire à la fois singulier et profondément symbolique. Singulier, parce que l’histoire démographique, sociale et politique de ce département de 375 km² situé dans l’océan Indien, à plus de 8 000 kilomètres de Paris, ne ressemble à aucune autre collectivité française. Symbolique, parce que se concentrent en lui des grands enjeux : la jeunesse de sa population, les flux migratoires, la nécessité de penser l’aménagement et la cohésion sociale dans un contexte de ressources limitées.

Dans ce paysage déjà complexe, le passage du cyclone Chido, le 14 décembre 2024, a bouleversé l’île. Les dégâts matériels ont été immenses. Mais une autre conséquence, moins visible et pourtant déterminante, a concerné la connaissance statistique du territoire. En effet, l’Insee devait lancer une ultime enquête annuelle de recensement pour terminer le premier cycle quinquennal et activer ainsi le processus de convergence engagé depuis 2021 avec la méthode appliquée sur le reste du territoire français. Or, la catastrophe a rendu la mission impossible. Il n’était pas envisageable de faire le recensement du dernier cinquième du territoire en février 2025, deux mois à peine après le passage du cyclone, compte tenu de son effet sur l’habitat et les mouvements de population. Produire des chiffres précis de population sans cette dernière enquête n’était pas non plus envisageable, certaines communes n’ayant pas du tout été enquêtées. Résultat : Mayotte reste figée, pour la plupart des décisions officielles (à l’exception des dotations de l’État), sur des chiffres issus du dernier recensement exhaustif de 2017, chiffres que nombre d’élus et d’observateurs jugent aujourd’hui dépassés, voire trompeurs [Seguin et alii, 2023].

Au-delà, les enquêtes (notamment celle sur l’emploi, le chômage et l’inactivité) et les relevés de prix nécessaires au calcul de l’inflation ont également été interrompus et n’ont pu reprendre que plusieurs semaines après le passage du cyclone.

Dans ce contexte d’urgence, une décision sans précédent a été prise : organiser un recensement exhaustif de toute la population mahoraise et ceci avant la fin de l’année 2025. Une opération hors norme, menée dans des délais très contraints, et qui mobilise outre l’Insee, une multitude d’acteurs, des communes aux services de l’État, avec des incidences sur d’autres acteurs comme La Poste ou France Travail.

Le cyclone Chido et l’urgence de données fiables

Le 14 décembre 2024 restera longtemps gravé dans la mémoire des Mahorais. Le cyclone Chido, d’une intensité rare, a balayé l’île en quelques heures, détruisant des habitations, arrachant des toitures, inondant des quartiers entiers (figure 1). Les routes ont été coupées, l’électricité et l’eau potable interrompues dans de nombreuses communes.

Figure 1 – Mayotte après le passage du cyclone Chido

Mayotte après le passage du cyclone Chido (1)
Mayotte après le passage du cyclone Chido (2)

Si les pertes humaines ont été limitées, c’est tout le tissu social et économique qui a été touché. Des familles entières se sont retrouvées sans abri. Les écoles ont dû fermer temporairement. Les services publics, déjà fragiles, ont été mis sous tension.

L’Insee devait réaliser en 2025 une cinquième enquête annuelle de recensement (EAR). Cette « fin de cycle » aurait permis de produire dès la fin 2025 des données de population actualisées ensuite chaque année, comme c’est le cas depuis 2008 dans l’Hexagone et dans les autres départements et régions d’outre-mer (Drom). Or, face aux destructions et perturbations liées au cyclone, cette dernière collecte a dû être annulée. En effet, combiner les résultats d’une enquête réalisée après le passage du cyclone à quatre enquêtes réalisées avant risquait d’être hasardeux. La méthodologie du recensement en continu a été pensée dans le cadre d’un environnement stable et n’est pas adaptée à des bouleversements de l’habitat ou des flux de population de l’ampleur de ceux qui ont eu lieu au lendemain du passage de Chido [Barlet et Lefebvre, 2024].

Cela a laissé Mayotte sans données récentes sur la population de ses communes. Or, dans un territoire où la population évolue très rapidement, cette absence d’information est particulièrement problématique.

Les derniers chiffres exhaustifs officiels disponibles datent de 2017. À l’époque, la population était d’un peu plus de 256 000 habitants [Merceron et Genay, 2017]. Depuis, la population a fortement augmenté (+30 % selon l’Insee), du fait des dynamiques naturelles (une natalité très élevée et une population très jeune, donc peu de décès) et dans une moindre mesure sous l’effet des flux migratoires (flux réguliers venus des Comores et d’ailleurs, mais aussi flux retours ou départs vers d’autres territoires français). Aujourd’hui, les estimations varient, des plus documentées (329 000 habitants au 1er janvier 2025 selon l’Insee) [Insee, 2025] aux plus maximalistes (500 000 habitants voire davantage- figure 2).

Figure 2 – Évolution de la population de Mayotte depuis 2002

Évolution de la population de Mayotte depuis 2002
Source : Insee – Recensements et estimations (populations au 1er janvier de l’année)

Si l’on part de 2017 et que l’on croit à une « estimation » de 500 000 habitants, cela induirait pour Mayotte :
     • Une densité de population de 1 330 habitants / km², comparable à celle du département du Val-d’Oise, alors qu’une grande partie de l’île est inhabitable du fait de zones boisées inaccessibles ;
     • Un solde migratoire de + 35 000 habitants par an depuis 2017, soit l’équivalent chaque année de la population de Koungou, 2e plus grande commune de l’île.

Ces écarts ne sont pas anecdotiques. Ils conditionnent la répartition des dotations financières de l’État, l’aménagement des infrastructures scolaires et hospitalières, la planification urbaine. Certains acteurs locaux n’hésitent pas à qualifier les chiffres de 2017, non pas de « périmés », mais de « faux ». L’Insee produit et diffuse des estimations de population annuelle, mais beaucoup de politiques publiques utilisent encore, du fait de la réglementation en vigueur, les chiffres authentifiés de 2017 sans les faire vieillir.

Dans ce contexte, disposer de données fiables devient une urgence démocratique. Les élus locaux réclament un nouveau recensement. Les associations insistent sur l’importance de connaître les réalités sociales pour mieux orienter les politiques. Et l’État lui-même reconnaît qu’il ne peut pas piloter efficacement son action sans chiffres solides.

Cela explique la décision, inédite, d’organiser en 2025 un recensement exhaustif pour remettre à jour la photographie démographique de Mayotte.

Une opération d’une ampleur exceptionnelle : l’Insee se mobilise pour Mayotte

Le recensement démarrera le 27 novembre 2025. Ce choix prend en compte plusieurs contraintes opérationnelles :
     • Les dates habituelles des campagnes (janvier/février de chaque année) de recensement, qui permettent une coordination des opérations avec celles du reste du territoire et donc de réaliser un recensement exhaustif ad hoc à un coût raisonnable grâce à la mutualisation des outils, des protocoles et de la préparation ;
     • Les élections municipales de mars 2026, qui mobiliseront les communes et rendront impossible la conduite simultanée d’un recensement.

Le calendrier de préparation est donc particulièrement resserré. Alors que l’Insee planifie habituellement ses opérations sur plusieurs années [Angel, 2023], l’Institut a dû concevoir, organiser et déployer une opération de grande envergure en quelques mois.

Il n’y a, d’expérience, jamais de période idéale pour un recensement, mais ce compromis (6 semaines de collecte du 27 novembre 2025 au 10 janvier 2026) résulte d’échanges avec l’ensemble des communes du territoire après Chido.

Premier défi : dresser la carte la plus complète possible des logements de l’île. Environ 65 000 entités adressées ont été identifiées et cartographiées. Cela signifie que chaque case, chaque maison, chaque immeuble a été localisé. L’Insee est allé partout, jusque dans les zones les plus reculées, parfois difficiles d’accès (figure 3).

Pour cela, l’Insee a recruté 10 enquêtrices supplémentaires en plus de l’ensemble de son réseau sur place, soit au total 25 enquêtrices et enquêteurs. Cette collecte a été menée d’avril à août dans un calendrier serré mais tenu ! À plusieurs reprises, les enquêteurs ont dû expliquer l’objectif de ces travaux de repérage parfois mal perçus par la population. L’accompagnement par des agents communaux dans certains quartiers a été fort utile. Quelques déplacements de terrain ont nécessité une organisation spécifique, décidée au cas par cas, pour garantir l’accès à tous les logements dans de bonnes conditions de sécurité.

Figure 3 – Zones d’habitat précaire à Mayotte

Zones d’habitat précaire à Mayotte

Cette cartographie des logements n’est pas qu’un exercice technique. Elle est indispensable pour assurer qu’aucune famille, aucun individu ne sera oublié dans le recensement. Elle est ainsi déterminante pour la qualité du chiffre de la population. En effet, si un ménage ne répond pas au recensement (ce qui est au demeurant très rare à Mayotte où la non-réponse est généralement de l’ordre de 2,5 %), il est toujours possible d’obtenir de l’information auprès du voisinage ou par imputation statistique. Mais si un logement est oublié, ses habitants ne seront pas comptabilisés. La cartographie est de plus garante de la bonne répartition des zones de collecte entre les agents recenseurs et de la qualité des plans de collecte qui leur seront fournis.

Deuxième défi : préparer la collecte auprès des habitants. La collecte de données générera une masse impressionnante de documents. Tous ces documents (questionnaires, consignes pour les agents recenseurs, carnets de collecte…) ont fait l’objet d’une adaptation pour coller parfaitement au cas particulier de ce recensement exhaustif de Mayotte. On parle de six tonnes de papier (soit 34 palettes), imprimées, acheminées depuis l’Hexagone, stockées, distribuées, puis collectées et traitées.

Pour encadrer cette opération, l’Insee mobilise 8 superviseurs, dont 4 en renfort depuis l’Hexagone, afin d’encadrer et aider les personnels communaux : 75 coordonnateurs communaux, véritables pivots de l’opération dans chaque commune, et plus de 700 agents recenseurs, chargés d’aller frapper à chaque porte.

Troisième défi : faire comprendre à la population l’importance du recensement. À Mayotte, où le français n’est pas toujours la langue maternelle, il a fallu concevoir une communication bilingue, en français et en shimaoré. Spots radio, affiches, réunions publiques : tout a été pensé pour que chacun sache pourquoi l’on vient frapper à sa porte et pourquoi il est crucial de répondre.

Le slogan en français (« Vos réponses aujourd’hui pour construire Mayotte de demain ») a trouvé sa traduction en shimaoré : « Muhasibio wa léo, muwundrio wa meso » (figure 4).

Figure 4 – Affiche du recensement de Mayotte 2025

Affiche du recensement de Mayotte 2025

La réussite du recensement repose sur la confiance. Et cette confiance ne se construit que dans la proximité. C’est pourquoi l’Insee insiste sur l’importance des agents recenseurs locaux, connus des habitants, parlant leur langue, capables d’expliquer les enjeux. Il insiste également sur la confidentialité des données recueillies, qui sont couvertes par le secret statistique et ne peuvent donc servir à aucun contrôle administratif ou financier. Pour s’en assurer, l’ensemble des acteurs de la collecte, à l’Insee comme dans les communes, sont soumis au secret professionnel.

Quatrième et dernier défi : un cadre légal à repenser. Pour permettre à l’opération de se tenir, un article de loi spécifique a dû être adopté. Il autorise à sortir du cadre habituel du recensement, en particulier en termes de calendrier et de méthodes. Là encore, une première. L’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité prévoit en effet que les communes de moins de 10 000 habitants sont recensées une fois tous les 5 ans et que les communes de 10 000 habitants ou plus sont recensées tous les ans mais par sondage. Réaliser un recensement exhaustif, c’est-à-dire de toute la population et de toutes les communes, nécessitait une dérogation à cette loi qui a pu être obtenue par l’article 22 de la loi n° 2025-797 du 11 août 2025 de programmation pour la refondation de Mayotte.

Un recensement partenarial : communes et acteurs locaux au cœur du processus

Dès le départ, l’Insee a souhaité que ce recensement ne soit pas « son » opération, mais un projet collectif. L’objectif est de produire un chiffre co-construit, reconnu et porté par tous. Pour cela, l’Insee a porté une attention particulière à la qualité du partenariat entre l’Institut et les communes qui sous-tend, depuis 2004 dans l’Hexagone et les autres Drom et depuis 2021 à Mayotte, les opérations de recensement. L’Insee organise et contrôle les enquêtes annuelles de recensement, les communes les préparent et les réalisent.

Entre janvier et avril 2025, des rencontres ont donc eu lieu avec toutes les mairies de Mayotte. Objectif : définir ensemble les modalités du recensement, les dates, l’organisation pratique. Ensuite, à chaque étape de la préparation, les équipes du service régional de l’Insee de Mayotte ont veillé à la bonne implication des communes à tous les niveaux, des élus aux agents communaux, qui sont nos partenaires au quotidien.

Les communes jouent un rôle essentiel. Elles désignent tout d’abord un responsable communal du recensement (véritable chef d’orchestre local) et un correspondant pour l’expertise du repérage des logements. Elles réalisent surtout le recrutement des agents recenseurs, au plus près des habitants, pour garantir la proximité avec la population et elles contribuent à la communication locale.

L’Insee a formé ces agents communaux entre fin août et début septembre 2025 pour les responsables, en novembre pour les agents recenseurs. Les communes ont validé, une première fois, les données sur les logements, puis ces données ont été revérifiées début novembre par les agents recenseurs, chacun pour sa zone respective. Pour les agents recenseurs et leurs encadrants, c’est dès le 27 novembre que l’essentiel de leur travail commence : frapper à toutes les portes, n’oublier personne, relancer et convaincre les habitants et remonter au jour le jour le nombre de questionnaires papier remplis.

Au-delà des communes, de nombreux acteurs sont mobilisés : La Poste, dont certains facteurs endosseront le rôle d’agents recenseurs ; l’Institut géographique national (IGN), qui a aidé à repérer les nouvelles constructions apparues après le cyclone Chido ; France Travail, qui appuie les communes dans le recrutement des agents ; l’autorité cadiale, partenaire important pour expliquer l’opération et encourager la participation dans le respect des traditions locales.

Ce recensement, comme sur le reste du territoire français, est marqué par le sceau du partenariat entre l’Insee et les communes. Il n’est pas une opération descendante pilotée par l’État, mais le fruit d’un travail collectif, où chacun a sa place et sa responsabilité.

Un chiffre co-construit, un avenir partagé

Le recensement de Mayotte 2025 est plus qu’une opération statistique. Il s’agit d’abord de mettre à jour une donnée essentielle à la suite des bouleversements induits par le cyclone, aussi bien sur l’habitat que sur les mouvements possibles de populations. Au-delà du nombre d’habitants du territoire, il s’agit de donner à Mayotte les moyens de préparer son avenir. Les populations issues de ce recensement seront authentifiées en décembre 2026 pour entrer en vigueur en 2027. Les premières études réalisées à partir de ces nouvelles données pour établir un portrait actualisé de la population et des logements de Mayotte seront également disponibles début 2027.

Avec ces données, les communes pourront mieux planifier leurs équipements. L’État pourra ajuster ses dotations. Les associations disposeront d’un outil pour appuyer leurs revendications. Les chercheurs auront une base pour analyser la société mahoraise.

Surtout, ce recensement permettra de produire un chiffre partagé, produit avec les communes, avec les habitants, avec les partenaires locaux. En cela, il se veut un exemple de coopération territoriale.

Et après ? L’Insee le sait : il faudra tirer les enseignements de cette opération hors norme pour préparer la suite de cette opération de recensement.

Pour l’heure, une certitude s’impose, le recensement de Mayotte 2025 n’est pas seulement une affaire de statisticiens  : c’est une affaire collective et une aventure humaine.

Pour en savoir plus

Crédits photo : ©IGN ©Loup Wolff ©Pascal Rivière ©Bertrand Kauffmann

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