Le recensement annuel fête ses 20 ans !

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Muriel Barlet et Olivier Lefebvre, Insee.
© Parties prenantes

En France, le recensement de la population est devenu annuel en 2004, dans le but de fournir des informations sur la population chaque année au niveau de chaque territoire. La méthode adoptée il y a 20 ans permet en outre de lisser la charge et d’améliorer la qualité en pérennisant les compétences des différents acteurs, ce qui n’était pas possible avec des recensements apériodiques ayant lieu au mieux tous les 7 ans. Innovante et robuste, la méthode retenue combine recensement traditionnel (collecte directe par questionnaire auprès des habitants), méthodologie statistique (sondages) et mobilisation de données administratives. Elle est fondée sur des enquêtes annuelles de recensement tournantes qui couvrent l’ensemble du territoire sur un cycle de 5 ans et qui sont réalisées par les communes sous le contrôle de l’Insee.
Vingt ans après, le bilan tiré est positif : des résultats robustes ont été produits chaque année, et sont dans l’ensemble peu contestés, les coûts ont été réduits au fil du temps grâce notamment à la dématérialisation, le contenu du questionnaire évolue régulièrement pour s’adapter aux évolutions de la société. Le principal défi est de réduire le délai de production des résultats, des travaux sont en cours à cet effet ; le recensement va continuer à s’améliorer !

Le recensement des populations est l’une des opérations statistiques les plus anciennes de l’histoire. Il y a des millénaires, les premières grandes civilisations pratiquaient des dénombrements de leur population à l’instar de l’Égypte vers 2750 avant J.-C. ou de la Chine dès 2238 avant J.-C. En France, le premier document relatif au dénombrement de la population d’une partie du territoire remonte au règne de Saint-Louis (1226-1270). Plusieurs recueils de données sur la population de la France ont été organisés par la suite, mais souvent de manière partielle ou asynchrone ; les tentatives de recensements plus systématiques n’ont pas abouti. Le premier recensement, marqué par une simultanéité du recueil d’informations et son ambition de couvrir tout le territoire, a eu lieu en 1801 et a abouti à une population de 33 millions d’habitants pour la France.

Depuis cette date, la France réalise des recensements périodiques de la population, quinquennaux jusqu’à la seconde guerre mondiale, plus espacés à partir de 1946. Ces derniers étaient exhaustifs jusqu’en 1999. Dès le XIXᵉ siècle le recensement est allé au-delà du seul dénombrement de la population, d’autres informations (profession, statut matrimonial…) étant également collectées. Depuis le milieu du XXᵉ siècle, il permet également de recueillir des informations sur les logements (taille, équipements, …).

En 2004 le recensement est devenu annuel (figure 1). L’enquête annuelle de recensement de 2024 sera la 20ᵉ enquête de recensement depuis la mise en place du recensement annuel. Cette évolution méthodologique majeure, qui a consisté à ne plus recenser tout le monde la même année, répondait à un besoin des décideurs de disposer de données mises à jour chaque année sur les habitants et les logements, tout en lissant la charge et les coûts de collecte et en assurant un contrôle plus efficace de la qualité.

Figure 1 – Affiche présentant le passage au recensement annuel

Mieux connaître la population : une préoccupation croissante face à des changements rapides

Entre 300 et 400 règles administratives (définies dans des lois, décrets ou arrêtés) dépendent du nombre d’habitants, donc des résultats du recensement de la population. Elles ont des effets majeurs sur la vie des habitants : montant des dotations des collectivités, règles d’installations de certains services, mode de scrutin pour les élections municipales…. Par exemple, l’ouverture d’une pharmacie n’est possible qu’à partir de 2 500 habitants, le mode de scrutin des conseillers municipaux diffère entre les communes de moins et de plus de 1 000 habitants,… Il est donc nécessaire de connaître la population de l’ensemble des subdivisions administratives françaises qui sont de tailles très diverses : elles peuvent être de très petite taille (en France, 17 000 communes, soit près de la moitié, ont moins de 500 habitants) comme très peuplées (plus de 12 millions pour la région Île-de-France). À cette diversité s’ajoutent les particularités géographiques et spécificités de chacun des territoires d’outre-mer (5 départements et 6 collectivités).

Au-delà du seul chiffre de population, avoir une connaissance locale précise de la structure par âge, des déplacements domicile-travail, des emplois… permet de mieux définir ou évaluer des politiques locales. De plus, certaines politiques publiques (en particulier, la politique de la ville qui vise à réduire les écarts de développement au sein des villes) requièrent des informations sur les populations à l’échelle des quartiers. Or ceux-ci peuvent connaître des mutations rapides qui rendent peu pertinente l’utilisation de résultats trop anciens.

Pour toutes ces raisons, les différents acteurs, notamment au niveau local, sont en demande d’informations régulières et récentes sur les habitants de leur territoire. Entre 1946 et 1999, l’Insee a réalisé huit recensements généraux de la population : tous les habitants étaient recensés en même temps, la même année, une fois tous les sept ans en théorie mais en pratique ils se déroulaient parfois tous les 8 ou 9 ans…. Ils ne répondaient ainsi plus au besoin exprimé d’informations régulières et fraîches. La refonte du recensement mise en œuvre il y a 20 ans visait donc à être en capacité de fournir des informations sur la population chaque année au niveau de chaque territoire. La nouvelle méthode devait également permettre de lisser la charge et d’améliorer la qualité par la professionnalisation des acteurs, ce qui était difficile avec des recensements apériodiques (Insee, 2005).

Le recensement annuel : une méthode innovante et robuste

Pour produire des données plus régulières, il n’était pas possible d’organiser plus souvent un recensement général. L’Insee a privilégié une autre réponse à ce besoin, permise par les progrès des techniques statistiques. La méthode retenue combine recensement traditionnel (collecte directe par questionnaire auprès des habitants), méthodologie statistique (échantillonnage) et mobilisation de données administratives. Innovante, elle est fondée sur des enquêtes annuelles de recensement tournantes qui couvrent l’ensemble du territoire sur un cycle de 5 ans.

Elle permet de diffuser pour chacune des subdivisions administratives, et notamment pour les 35 000 communes, des populations officielles actualisées chaque année (dites « populations légales »), ainsi que la description statistique de la population et du parc de logements.

Dans les communes de moins de 10 000 habitants la collecte auprès des habitants est exhaustive, une fois tous les 5 ans (figure 2). Environ 7 000 de ces communes sont ainsi concernées chaque année par l’enquête de recensement. Pour être en capacité de produire des estimations de populations mises à jour chaque année, y compris pour les petites communes qui ne sont recensées qu’une fois tous les 5 ans, l’Insee mobilise également des données administratives, notamment les données fiscales.

Dans les communes de plus de 10 000 habitants, il a été décidé de procéder par sondage pour la collecte auprès des habitants. Dans ces communes, 8 % des logements, tirés au hasard, sont recensés chaque année, soit 40 % sur un cycle de 5 ans. Cette méthode permet des économies substantielles tout en donnant des résultats avec une précision suffisante, et une qualité maîtrisée. Elle permet, de plus, en réduisant la charge de collecte de concentrer les efforts sur les ménages les plus difficiles à joindre et ainsi de limiter le taux de non-réponse au recensement, qui reste inférieur à 5 %.

Figure 2 – Méthode utilisée pour le recensement de la population selon la taille de la commune

La méthode est adaptée aux particularités des territoires d’outre-mer lorsque c’est nécessaire. Par exemple, à Mayotte, le taux de sondage est plus important pour tenir compte des difficultés à repérer les logements dans les quartiers d’habitat spontané (Seguin et alii, 2023).

La collecte sur le terrain : un ingrédient majeur du recensement

La collecte d’informations à partir de déplacements sur le terrain reste la source prépondérante du recensement. Cette étape du processus est pilotée par l’Insee mais mise en œuvre par les communes, qui jouent un rôle primordial dans le recensement de la population.

Une première étape consiste en un repérage exhaustif des logements.

Constituer une liste exhaustive de logements est particulièrement important pour le recensement, afin de s’assurer qu’aucun ménage n’est oublié lors de la collecte et de redresser statistiquement les données en cas de non-réponse des habitants (moins de 5 % des logements). Le nombre de logements intervient également dans le calcul du nombre d’habitants des communes de plus de 10 000 habitants.

Les données administratives (celles des impôts par exemple) ne sont pas considérées comme suffisantes pour constituer les listes de logements nécessaires au recensement de la population, en raison notamment d’une définition parfois différente des logements. Elles sont toutefois largement mobilisées pour cibler les vérifications à mener sur le terrain. De même, dans les communes de plus de 10 000 habitants, où les listes de logements sont mises à jour en continu, les données des permis de construire sont systématiquement prises en compte. Mais les informations en provenance de repérages sur le terrain restent nécessaires pour statuer sur le caractère habitable des logements ou compléter ces sources administratives.

La deuxième étape de la collecte se déroule auprès des habitants en porte à porte et par internet

Depuis 2015, les habitants ont ainsi la possibilité de répondre par internet : 71 % des personnes recensées l’ont fait en 2023. Il reste toutefois nécessaire de leur remettre leur code d’accès à usage unique pour accéder au questionnaire en ligne : c’est une partie du travail des agents recenseurs employés par les communes. Pour les personnes ne répondant pas par internet, l’agent recenseur dépose les questionnaires sur papier et les récupère remplis quelques jours plus tard. En plus de la collecte auprès des logements dits ordinaires, des collectes complémentaires sont organisées pour recenser les habitants des communautés (Ehpad, internats, prisons, centres d’hébergement…), les habitants des habitations mobiles, les personnes sans abris et les bateliers. Ces collectes complémentaires permettent de n’oublier personne et de recenser l’ensemble de la population présente sur le territoire quel que soit son statut administratif.

Des résultats solides et une capacité d’adaptation avérée

Le recensement fait l’objet d’une évaluation permanente par la commission nationale d’évaluation du recensement de la population, qui a été créée en 2004 à cet effet et est présidée depuis l’origine par un parlementaire. Les objectifs initialement fixés ont été atteints. En particulier, chaque année, la population des 35 000 communes est mise à jour, permettant d’adapter en continu les politiques publiques aux évolutions démographiques (vidéo présentant la méthode de calcul dans les communes de moins de 10 000 habitants). La qualité des résultats obtenus est satisfaisante et la proportion de contestations très faible (Insee, 2020). L’adhésion des habitants demeure, portée par une communication efficace, l’implication des mairies et la modernisation de la collecte : en témoigne la faiblesse du taux de non-réponse.

Vidéo – Comprendre la population Légale – Communes de moins de 10 000 habitants

Procéder à des enquêtes annuelles offre une plus grande souplesse et une sécurisation pour les évolutions de protocole. Au fil des années, depuis 20 ans, des évolutions ont permis de réduire les coûts et de s’adapter à l’évolution des technologies. La collecte est de plus en plus dématérialisée : l’aspect le plus visible est la collecte par internet, mais il y a eu bien d’autres évolutions. Par exemple, en 2004, le fax était le moyen de communication privilégié entre l’Insee et les communes pour suivre l’avancement des opérations de terrain… Depuis 2015, ce suivi passe par une application informatique partagée entre les communes et l’Insee. Cette année, en 2024, le questionnaire internet fait peau neuve et devient accessible à tous les publics, y compris les personnes en situation de handicap, et sur tous les supports.

Le recensement s’adapte aussi aux évolutions de la société à travers le contenu du questionnaire. Depuis 2015 le mode de transport « vélo » est distingué des autres deux-roues pour les déplacements domicile-travail ; depuis 2018 le questionnaire est mieux adapté à la diversité des configurations familiales et il permet notamment de mieux repérer les enfants en garde alternée. Il est prévu dans les prochaines années d’introduire de nouvelles questions, par exemple pour mesurer les situations de handicap.

Le système a également montré sa robustesse lors de la crise sanitaire de la Covid-19. Malgré l’annulation de l’enquête de 2021 pour des raisons sanitaires, il a tout de même été possible de diffuser de nouvelles estimations de population fin 2021 en recourant plus largement aux données administratives et en mobilisant les données des enquêtes de recensement des années précédentes.

Le défi de la réduction des délais de publication des populations de référence

La principale limite – ou le principal grief – tient au décalage de 3 ans dans la publication des résultats. Publiées fin 2023, les populations au 1er janvier 2021 servent de référence pour l’année 2024. Même si ce décalage est moins fort en moyenne qu’à l’époque des recensements généraux, où il pouvait aller de 1 à 10 ans, il demeure pénalisant à un moment où les transformations locales de l’habitat restent rapides. Ce décalage est dû au choix de publier en fin de cycle quinquennal les populations avec comme date de référence le milieu de cycle, dans un souci de qualité (limiter l’écart entre une enquête de recensement et la date de référence de la population) et d’égalité de traitement entre les communes.

Certains élus peuvent être surpris, voire déçus, des évolutions annoncées, notamment quand elles leur semblent contredire les remontées du terrain : programmes de construction, installation de nouveaux habitants, effectifs d’enfants scolarisés… Et contester parfois le recours au sondage, ou le décalage entre la date des populations et les événements récents. Ces réactions peuvent être plus nombreuses, dans un contexte de moindre évolutions démographiques et de poursuite de la diminution de la taille des ménages : on peut avoir davantage de logements mais moins de population. Ces réactions sont suivies de près par l’Insee et par la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population : chaque année environ 200 communes (sur 35 000) font des retours à l’Insee sur le calcul de leur population légale.

L’Insee apporte toujours les éléments d’explication sur le calcul de la population et sur les évolutions constatées. Il peut procéder, en lien avec la commune, à des analyses plus approfondies sur la qualité des informations recueillies, qu’il s’agisse de l’enquête de recensement ou du répertoire d’immeubles localisés.

Pour autant, il n’est pas possible pour les communes concernées de réaliser un recensement exhaustif, pour « vérifier » (dans le cas des grandes communes) ou actualiser leur population de manière anticipée (pour les petites communes) : pour des raisons d’égalité de traitement, la méthode doit être la même pour toutes les communes, à population équivalente, et la date de référence identique pour toutes les communes. Par ailleurs, cela alourdirait considérablement les opérations, pour l’Insee comme pour les communes concernées.

La Commission nationale d’évaluation du recensement de la population, en réaction à ces remontées du terrain, n’a pas demandé à l’Insee de revoir les grands principes de la méthode (collecte tournante et sondage). Mais elle a proposé de travailler sur les pistes possibles pour réduire le décalage entre la date de référence des populations et leur entrée en vigueur ; des travaux exploratoires sont en cours à cet effet.

Quelles perspectives ?

À ce jour, il n’existe pas de sources de données alternatives au recensement qui permettraient de connaître directement la population des communes. En effet, la France ne dispose pas de registre de population contrairement à de nombreux autres pays européens. Le recensement reste donc l’outil privilégié pour connaître la population et les logements.

Les autres données administratives (répertoire électoral, données fiscales ou données issues de la protection sociale,…) constituent des sources d’information intéressantes, mais aucune d’elles ne couvre l’intégralité de la population usuellement résidente en France. Par ailleurs, certaines informations qu’il est d’usage de collecter dans le cadre des recensements ne sont présentes dans aucune donnée administrative ou alors de façon très agrégée : la nationalité, le moyen de transport pour se rendre au travail ou certaines caractéristiques de confort des logements.

Toutefois, recourir plus largement à ces données administratives offre de nouvelles perspectives d’évolutions du recensement de la population, que ce soit pour alléger la collecte qui mobilise chaque année plus de 30 000 personnes pendant 5 semaines ou pour raccourcir les délais de production des résultats. De telles évolutions nécessitent encore de réaliser de nombreux investissements méthodologiques et techniques, dont les premières briques sont en cours de réalisation. Le recensement va donc continuer à évoluer, comme il l’a fait depuis 20 ans. Rendez-vous dans 10 ans pour voir le chemin parcouru…

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