L’enjeu de la confrontation entre les indicateurs sur l’état de l’environnement et les moyens financiers publics et privés déployés pour le protéger

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Julien Maugé, Service des données et études statistiques (SDES).
Environnement : panneau "Parc naturel régional de Camargue"
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De nombreux indicateurs permettent de suivre l’évolution des différents écosystèmes et les dépenses engagées pour protéger l’environnement. Mais comment juger de l’efficacité de ces dépenses ? Le Bilan environnemental de la France paru au printemps propose pour la première fois une confrontation entre l’évolution de l’état de l’environnement et les dépenses dans le domaine de la protection de la biodiversité et des paysages. Si on constate des progrès dans certains domaines (surfaces protégées, grands prédateurs, oiseaux d’eau hivernants…) d’autres évolutions restent en revanche moins favorables (oiseaux communs spécialistes). Certaines dépenses nécessitent du temps pour pleinement manifester leurs effets mais ces évolutions soulignent l’importance de poursuivre et intensifier les efforts pour éviter toute dégradation supplémentaire de la biodiversité et restaurer les milieux dégradés.

Alors que les activités humaines exercent de multiples pressions sur l’environnement naturel, diverses actions sont mises en place pour éviter, réduire ou compenser les dommages causés. Pour le statisticien, mettre en regard les évolutions de l’état de l’environnement et les efforts engagés par les citoyens, les pouvoirs publics et les entreprises représente un enjeu important. Le Bilan environnemental de la France, publié chaque année par le service statistique du ministère en charge de la transition écologique (SDES), s’inscrit dans cet objectif en donnant un aperçu de l’état des écosystèmes et des interactions entre l’environnement et l’économie.

Le suivi des moyens financiers déployés pour protéger l’environnement n’est pas simple. D’une part, il faut définir ce qu’on intègre dans les dépenses de protection de l’environnement. D’autre part, l’interprétation de l’évolution de ces dépenses, souvent à la hausse, n’est pas évidente : une croissance de la dépense de protection de l’environnement peut refléter une prise de conscience de la nécessité de mieux protéger l’environnement, elle peut aussi être le signe d’une dégradation croissante de son état nécessitant davantage de mesures de protection ou de réparation. Ainsi, mettre en regard l’évolution des dépenses de protection de l’environnement et des données physiques des domaines environnementaux correspondants est important pour apprécier l’efficacité, dans la durée, des moyens engagés. Pour analyser cette question, le SDES propose dans la dernière édition du Bilan environnemental de la France un rapprochement de ces deux types de données dans deux domaines, à savoir la gestion des déchets et la protection de la biodiversité et des paysages. Cet article de blog revient sur ces questions, ainsi que sur les résultats de cette confrontation entre état de l’environnement et dépenses sur l’exemple de la biodiversité.

Des indicateurs environnementaux aux évolutions contrastées

L’analyse des indicateurs sur l’état de l’environnement de la France montre une amélioration en matière de pollution de l’air et de l’eau ainsi que pour certains facteurs de transition écologique et énergétique comme le recyclage des déchets ou la consommation de matières. En revanche, la situation demeure préoccupante pour d’autres : les émissions de gaz à effet de serre restent élevées et la biodiversité continue de disparaître malgré des financements dédiés à ces domaines.

Concernant la pollution de l’air, les émissions ont globalement baissé pour la majorité des polluants. C’est notamment le cas pour les rejets de dioxyde de soufre (SO2) de l’industrie (- 93 % entre 1990 et 2020), grâce à une moindre utilisation du pétrole dans la production d’électricité, à une meilleure efficacité énergétique et à l’installation de filtres. Les rejets d’oxydes d’azote (NOx) dus aux transports ont également reculé de 73 % depuis 1990 malgré l’augmentation du trafic routier et l’accroissement du parc. Cette évolution positive est due à l’évolution des moteurs stimulée par la réglementation européenne sur les émissions des véhicules, au renouvellement du parc de véhicules et à l’équipement progressif des véhicules en pots catalytiques. La qualité de l’air extérieur s’est ainsi améliorée sur 30 ans, même si certains territoires, notamment à proximité du trafic routier, restent confrontés ponctuellement à des dépassements des seuils réglementaires. En parallèle, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 20 % entre 1990 et 2019 (et de 27 % entre 1990 et 2020, l’année 2020 étant exceptionnelle à cause du confinement). Elles restent cependant encore à un niveau éloigné de celui qui permettrait la neutralité carbone en 2050 selon l’objectif visé par la stratégie nationale bas-carbone : il faudrait pour cela diviser par 6 les émissions de gaz à effet de serre d’ici le milieu du siècle.

Entre 2000 et 2019, la pollution des eaux souterraines et de surface a nettement reculé pour ce qui est des phosphates grâce à la mise aux normes des stations d’épuration urbaines, le retrait des phosphates dans les lessives et une meilleure gestion des effluents d’élevage (stockage, plans d’épandage). Les résultats des mesures prises pour lutter contre la pollution par les nitrates (plan d’action nitrate, captages prioritaires) restent en revanche plus mitigés.

Autres éléments concourant à une amélioration de la situation environnementale, la baisse de la consommation de matières en France depuis 2007 ainsi que l’augmentation de la productivité matières qui permet de mesurer la transition vers un système économique plus économe en ressources naturelles (+ 30 % entre 2007 et 2019). À l’autre extrémité de la chaîne de production, la quantité de déchets a également légèrement diminué (- 3,3 % entre 2010 et 2018) et le taux de recyclage est passé de 60 % en 2010 à 66 % en 2018.

À l’inverse d’autres domaines environnementaux affichent un état écologique défavorable. C’est notamment le cas de la biodiversité qui présente toujours de nombreux indicateurs en dégradation : la part des habitats d’intérêt communautaire dans un état favorable de conservation baisse ainsi de 2 points entre la période 2007-2012 et la période 2013-2018 (de 22 % à 20 %). Ces habitats (marais, falaises, dunes, chênaies…) et les espèces qu’ils abritent comptent parmi les plus rares ou les plus menacées en Europe. Ils constituent un indicateur de l’état de conservation des milieux naturels dans leur ensemble. Les populations d’oiseaux communs spécialistes (- 24 % entre 1989 et 2019) et les populations de chauves-souris (- 54 % entre 2006 et 2019) continuent de s’effondrer, situation aggravée par la poursuite de l’artificialisation des espaces naturels et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. Une dégradation des zones humides, qui sont d’une grande richesse en matière de biodiversité, est également observée entre 2010 et 2020.

Les dépenses de protection de l’environnement face aux enjeux de dégradation des milieux naturels

Face aux défis induits par les atteintes portées à l’environnement, de nombreuses mesures et actions sont mises en place pour éviter, réduire ou compenser les dommages causés. Cela passe notamment par des moyens financiers publics et privés affectés à la protection de l’environnement.

À l’échelle européenne, ces efforts financiers sont comptabilisés au travers d’une méthodologie commune, le SERIEE (système européen pour le rassemblement des informations économiques sur l’environnement), qui définit le périmètre des dépenses de protection de l’environnement. Ce périmètre couvre différents domaines spécifiques à l’environnement et s’établit selon la classification des activités et dépenses de protection de l’environnement (Classification of Environmental Protection Activities – CEPA). Comptabiliser l’ensemble des efforts financiers destinés à prévenir et remédier aux atteintes à l’environnement est cependant complexe et difficilement exhaustif. Ces comptes ont donc vocation à évoluer et à s’étendre aux domaines de la gestion durable des ressources naturelles (Classification of Ressource Management Activities – CReMA). Une classification spécifique des activités concernées a été développée sous l’égide d’Eurostat. Les versions ultérieures du bilan environnemental de la France intégreront les résultats dans ce domaine au fur et à mesure de leur développement.

En 2019, en France, ces dépenses représentent environ 54 milliards d’euros et couvrent des domaines très variés.

Dépenses de protection de l'environnement - Données 2019

Les principaux domaines couvrent la gestion des déchets et des eaux usées qui représentent à eux deux 63 % du total des dépenses. Ces dépenses financent également des actions en matière de protection de la biodiversité, de protection de l’air et du climat, de recherche et développement pour l’environnement ou de protection et dépollution des sols.

Le niveau des dépenses augmente régulièrement, année après année, face à l’évolution constante des exigences en matière de protection de l’environnement qui s’accompagnent de l’évolution des normes réglementaires et des procédés : + 3,3 % par an en moyenne entre 2000 et 2019, alors que le PIB évoluait dans le même temps de + 2,7 % par an en moyenne. Ce montant de dépenses place la France dans la moyenne des pays européens en part de PIB (1,9 %).

Dans le cadre du rapportage effectué auprès d’Eurostat, les dépenses de protection de l’environnement sont réparties entre investissements et dépenses courantes. L’évolution des investissements reflète concrètement les dépenses engagées par les différents acteurs économiques pour mettre en place de nouvelles infrastructures ou acheter des équipements plus respectueux de l’environnement. Les dépenses courantes, et en particulier les frais de fonctionnement et de personnels, sont également indispensables et complémentaires pour maintenir le bon fonctionnement et l’utilisation de ces infrastructures et équipements.

En 2019, les investissements s’élèvent à 14,4 Md€, soit 27 % de la dépense totale. Cela comprend les acquisitions de terrains, la construction d’ouvrages spécifiques et leur rénovation ou l’achat de gros équipements. Les dépenses d’investissement concernent essentiellement la gestion des eaux usées et des déchets qui nécessitent la construction d’importantes installations (stations d’épuration des eaux usées, centres de compostage et de tri des déchets). Des investissements sont également engagés dans d’autres domaines, mais dans une moindre mesure. Cela concerne notamment la mise en place de stockage d’effluents d’élevage pour lutter contre la pollution des eaux ou bien encore l’aménagement de cours d’eau pour restaurer la continuité écologique, hydrologique et sédimentaire.

Les dépenses courantes totalisent près de 40 Md€, soit 73 % du total. Elles couvrent les frais de fonctionnement, charges de personnel incluses, associés à la production de biens et services environnementaux. Comme pour les dépenses d’investissements, les dépenses courantes concernent majoritairement la gestion des déchets et des eaux usées. Elles correspondent aux factures payées par les ménages pour l’assainissement de l’eau, la taxe et la redevance d’enlèvement des ordures ménagères, mais aussi aux coûts des services de gestion des déchets payés par les entreprises pour la collecte et le traitement de leurs déchets ou encore leurs frais d’assainissement des eaux usées. Des dépenses courantes sont également engagées dans le domaine de la protection de l’air et du climat, en particulier par les ménages, pour l’acquisition de véhicules propres ou le coût des contrôles techniques.

Environnement : dépenses courantes ou d'investissement ? Données 2019

Comment interpréter l’augmentation des dépenses de protection de l’environnement ? L’exemple de la biodiversité

La surexploitation des ressources naturelles, la dégradation des habitats, l’expansion des espèces exotiques envahissantes, ainsi que la pollution et le changement climatique sont autant de menaces pouvant impacter les services rendus aux activités humaines par les écosystèmes naturels. La perte de ces services écosystémiques met en danger les populations et les économies. Pour enrayer et inverser cette tendance, la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la société est primordiale et des efforts financiers sont engagés chaque année en faveur de la protection de la biodiversité et des paysages.

La dynamique d’évolution de la dépense nationale de protection de la biodiversité et des paysages est ainsi fortement induite par les dispositions législatives et réglementaires, y compris incitatives. Depuis 2004, la France a renforcé l’intégration des enjeux de biodiversité dans le champ de nombreuses politiques publiques, notamment dans le cadre de la première stratégie nationale pour la biodiversité (2004-2010). À la suite du Grenelle de l’environnement en 2007, un ensemble de mesures visant à préserver les espèces et leurs habitats a été adopté. Les politiques publiques en faveur de la biodiversité se sont poursuivies au cours de la décennie 2010, avec la seconde stratégie nationale pour la biodiversité (2011-2020). En 2019, la dépense nationale de protection de la biodiversité et des paysages est évaluée à 2,5 Md€, soit 5 % des dépenses totales de protection de l’environnement. Entre 2000 et 2019, cette dépense a été multipliée par deux en euros courants, soit une augmentation annuelle moyenne de 4 %, et de 2,6 % par an hors inflation.

La dépense de protection de la biodiversité et des paysages recouvre quatre grands domaines d’action, étroitement liés aux objectifs que se fixent les politiques publiques : la gestion des espaces protégés, la réduction des pressions exercées sur la biodiversité, la protection du patrimoine naturel et la réhabilitation des milieux aquatiques. Ces quatre domaines d’action, tous en augmentation sur la période, ont vocation à favoriser une amélioration de l’état des milieux naturels.

Environnement : répartition de la dépense de protection de la biodiversité par destination en 2019

Si cette hausse des dépenses de protection de la biodiversité et des paysages reflète clairement une prise de conscience, elle découle aussi, au moins en partie, de la dégradation croissante des écosystèmes qui a nécessité davantage de mesures de protection ou de réparation. Dès lors, comment juger de l’impact et de l’efficacité de ces dépenses ? Si on confronte dépenses et indicateurs sur l’évolution de l’état de l’environnement dans les quatre domaines d’action de la protection de la biodiversité et des paysages, on constate certains progrès ; d’autres évolutions sont en revanche moins favorables.

Parmi les points positifs, citons l’augmentation des surfaces protégées depuis 2000 (24 % du territoire national marin et terrestre en 2021 contre 19,7 % en 2010). L’objectif est de porter la part de ces surfaces à 30 % du territoire à l’horizon 2022. La présence de grands prédateurs (loup, ours et lynx) est également en augmentation sur le territoire tout comme les populations d’oiseaux d’eau hivernants (+ 124 % entre 1980 et 2021).

À l’inverse, les populations d’oiseaux communs spécialistes d’un type d’habitat naturel, qui nécessitent des exigences écologiques plus importantes, continuent de diminuer fortement (- 24 % entre 1989 et 2019). D’autres indicateurs de l’état des écosystèmes sont également en dégradation, à l’image des sites humides emblématiques. Les dernières données en matière de lutte contre les espèces exotiques envahissantes montrent également une progression constante de l’introduction d’espèces sur de nouveaux territoires : en moyenne, 12 espèces exotiques envahissantes s’installent tous les dix ans depuis 1982 dans chaque département.

L’analyse de l’évolution de l’état de conservation des habitats d’intérêt communautaire peut également être un indicateur de l’efficacité des dépenses engagées. À cet égard, les données relatives à l’état de conservation de ces habitats montrent assez peu d’évolutions entre la période 2007-2012 et la période 2013-2018, les états estimés favorables étant même un peu moins fréquents (20 % contre 22 % auparavant). Les mesures de protection ayant vraisemblablement des effets dans la durée, l’évolution de ces indicateurs dans les années à venir sera riche d’enseignements.

Certaines dépenses de protection de la biodiversité et des paysages nécessitent donc du temps pour pleinement manifester leurs effets. Mais ces évolutions soulignent l’importance de poursuivre et intensifier les efforts pour éviter toute dégradation supplémentaire de la biodiversité et restaurer les milieux dégradés.

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