Ce que nous enseignent les déflateurs en comptabilité nationale

Ce que nous enseignent les déflateurs en comptabilité nationale

Pour mesurer les tensions inflationnistes dans l’économie, l’Insee collecte des prix à différents niveaux de la chaîne de valeur, depuis le stade de la production jusqu’à celui de la consommation, donnant ainsi naissance à plusieurs familles d’indices de prix. Une autre façon d’appréhender les évolutions de prix se fonde sur la comptabilité nationale et les rapports entre valeurs et volumes. Avantage majeur par rapport aux différents indices de prix, les déflateurs, nés des équilibres ressources-emplois, constituent un système cohérent où les prix sont reliés entre eux. On peut ainsi expliquer les évolutions du prix du PIB par celui de ses composants côté offre (production et importations) ou côté demande (consommation, investissement et exportations). À partir de 2021, les évolutions des différents déflateurs de la comptabilité nationale reflètent la contagion des hausses de prix tout au long de la chaîne de valeur : déflateur des importations tiré par le prix des matières premières, qui entraîne d’abord le déflateur de l’investissement, avant d’atteindre le déflateur de la consommation des ménages.

L’inflation dans sa diversité (1/2)

La résurgence récente de l’inflation a remis sous les projecteurs les évolutions de prix. Or, si l’inflation se définit comme un mouvement général de hausse des prix, tous les prix n’augmentent pas d’autant ni au même moment. Cette diversité peut s’appréhender notamment par la famille des « déflateurs » des comptes nationaux, que cet article de blog a pour objet de présenter brièvement en l’illustrant par le commentaire de quelques évolutions récentes.

L’indicateur d’inflation phare, le plus connu et le plus mis en avant sur le site de l’Insee, mesure la hausse de l’Indice des prix à la consommation (IPC). Diffusé chaque mois et fondé sur l’observation d’un panier de biens et services représentatif du budget des ménages et mis à jour tous les ans, il est la référence pour les mécanismes d’indexation nationaux. Son cousin, l’IPC harmonisé (IPCH) est l’indicateur-clé pour la Banque centrale européenne et comporte quelques différences de champ (Daubaire, 2022) ; il est encore un peu plus dynamique sur la période récente.

Il existe toutefois une palette d’autres indicateurs de prix dans les statistiques de la comptabilité nationale, nommés « déflateurs ». Si la croissance du déflateur du PIB accélère depuis plusieurs trimestres, de même que l’IPC, l’ampleur et la temporalité des mouvements de ses principales composantes diffèrent (figure 1) : la comptabilité nationale permet une lecture ordonnée de ces différentes évolutions.

Figure 1 – Évolution du déflateur du PIB et de ses principales composantes, base 100 au premier trimestre 2019

Évolution du déflateur du PIB et de ses principales composantes, base 100 au premier trimestre 2019
Source : Insee, comptes nationaux et IPC.

Indices, déflateurs… de quoi parle-t-on ?

Faisons quelques pas en arrière pour bien comprendre. À la source, l’Insee collecte directement de nombreux prix, puis les agrège dans des indices, plus ou moins synthétiques : l’IPC évidemment, mais pas seulement : indices de prix à la production des différentes branches (Carré, 2022), indices de prix du logement, indices du coût de la construction, etc.

En comptabilité nationale, les prix sont ce qui lie les valeurs (mesure « à prix courants ») aux volumes (mesure « en termes réels » ou « à prix constants ») des agrégats sur lesquels ils portent (la consommation, le PIB, etc.). D’où leurs noms de « déflateurs » : contrairement aux indices qui sont directement issus d’une collecte de prix individuels, un déflateur n’est rien d’autre qu’un rapport entre une valeur et un volume.

Indices et déflateurs sont évidemment intimement liés : en effet, lorsque les comptables nationaux mesurent une valeur, le partage entre volume et prix se fait bien souvent en utilisant les indices de prix au niveau fin, qui sont ensuite agrégés de la manière adéquate (voir Aeberhardt et Bidault, 2018, pour une documentation complète). Ainsi du déflateur de la consommation des ménages, qui est assez proche de l’IPC (figure 2), puisque c’est l’IPC par produit qui est utilisé pour passer de la consommation des ménages mesurée en valeur à la consommation des ménages mesurée en volume.

Figure 2 – Évolutions de l’IPC et du déflateur de la consommation des ménages

Évolutions de l’IPC et du déflateur de la consommation des ménages
Champ de l’IPC : France métropolitaine jusqu’en 1991, France hors Mayotte ensuite.
Source : Insee, comptes nationaux et IPC.

Les déflateurs diffèrent cependant des indices à partir desquels ils sont estimés par des écarts de champ et de pondération. Pour poursuivre avec notre comparaison entre IPC et déflateur de la consommation des ménages (voir Billot et Bourgeois, 2019 pour plus de détail), ce dernier inclut l’évolution des loyers imputés pour les propriétaires occupants, contrairement à l’IPC, ce qui accroît ainsi le poids du logement en son sein (Blanchet, Lin et Meslin, 2021).

Un système cohérent de prix

L’intérêt de la comptabilité nationale par rapport aux indices pris isolément est de proposer un système cohérent et exhaustif des prix. Le travail des comptables nationaux consiste entre autres à équilibrer pour chaque produit les ressources, c’est-à-dire d’où le produit provient (production et importation), et les emplois – ce pour quoi ce produit est utilisé (consommation, investissement, exportation), à la fois en valeur et en volume. Ce faisant, les comptables nationaux assurent la cohérence des déflateurs du côté de la demande (issus par exemple de l’IPC, ou encore des indices de prix à l’exportation) et du côté de l’offre (issus des indices de prix à la production ou à l’importation). Le cadre de la comptabilité nationale permet également de comparer les différentes grandeurs entre elles, en les ramenant à leur poids dans l’économie dans leur ensemble. À travers ces équilibres et les égalités comptables, les déflateurs sont donc reliés simplement entre eux, le déflateur d’un agrégat (par exemple le PIB) pouvant être exprimé comme la somme pondérée des déflateurs de ses composantes (par exemple les composantes de la demande). Ce travail fournit ainsi des indications sur les relations qui existent entre ces différents prix.

Quand et comment utiliser les différents déflateurs

La multiplicité des déflateurs n’est pas simplement affaire de curiosité statistique : il n’y a pas une mesure unique de l’évolution des prix dans l’économie, mais des mesures propres à chaque grandeur et à chaque question d’intérêt.

Par exemple, comme son nom l’indique, le déflateur de la consommation des ménages va être pertinent du point de vue du consommateur final. Ainsi en divisant le revenu disponible brut des ménages par ce déflateur, on mesure ce que peuvent acheter les ménages avec leurs revenus, c’est-à-dire leur pouvoir d’achat.

Le déflateur du PIB, quant à lui, apparaît plus pertinent pour mesurer l’évolution du prix de la valeur ajoutée accumulée sur le territoire : il permet de mesurer l’inflation intérieure, qui découle du processus de production en France, par opposition à l’inflation importée. De fait, les déflateurs du PIB et de la consommation évoluent suivant des facteurs qui leur sont propres et les écarts entre eux peuvent être importants suivant les périodes (figure 3). Par exemple, l’inflation importée liée aux chocs pétroliers de 1973 et 1979 a directement affecté la consommation des ménages, dont le déflateur a été ainsi bien plus dynamique que celui du PIB.

Figure 3 – Écart d’évolution entre déflateur du PIB et déflateur de la consommation des ménages

Écart d’évolution entre déflateur du PIB et déflateur de la consommation des ménages
Lecture : en 2020, la croissance du déflateur du PIB a excédé de 1,9 point celle du déflateur de consommation.
Source : Insee, comptes nationaux.

Si la question est d’évaluer le taux d’intérêt réel auquel font face les entreprises résidentes pour leurs projets d’investissement, il est plus logique de déduire du taux d’intérêt nominal l’évolution du déflateur du PIB que celle des prix à la consommation. Et une remarque analogue s’applique à ce qu’il est convenu d’appeler l’effet boule de neige en matière d’évolution de la dette publique : les ressources publiques étant plus ou moins fonction du PIB en valeur plutôt que de la seule consommation, c’est plutôt le déflateur du PIB qui importe pour apprécier le taux d’emprunt réel des administrations publiques.

On voit donc, à travers ces quelques exemples qui exigeraient chacun bien des développements et nuances, qu’il y a intérêt à ne pas se restreindre à une seule notion d’inflation mais à examiner un spectre plus large en fonction de la question considérée.

Quelques enseignements sur la période récente

On l’a vu (figure 1), les principaux déflateurs affichent des évolutions marquées et surtout d’ampleur différente. Afin de comparer les poids de ces différentes évolutions dans l’économie en général, on peut les exprimer (figure 4) en contribution aux évolutions globales des déflateurs de l’offre (ressources : PIB et importations) et de la demande (ou les emplois finals : Consommation, investissement, etc.) qui sont par définition égaux.

Figure 4 – Évolution des déflateurs par rapport aupremier trimestre 2019, en contribution aux déflateurs globaux des emplois et des ressources

Évolution des déflateurs par rapport aupremier trimestre 2019, en contribution aux déflateurs globaux des emplois et des ressources
Lecture : au T2 2022, le déflateur des ressources (PIB + Importations) était supérieur de 5,7 % à son niveau du T1 2019 : le PIB y contribue pour 2,4 points et les importations pour 3,3 points. Du côté des emplois (Exportations + Consommation des ménages + Consommation APU/ISBLSM + FBCF/stocks), la hausse de 5,7 % – par construction identique à celle des ressources – se décompose en : 1,6 point de consommation des ménages, 0,3 point de consommation APU/ISBLSM, 1,4 point de FBCF/stocks et 2,4 points d’exportations.
Source : Insee, comptes nationaux.

Sur la période récente, plusieurs faits ressortent. D’une part, au deuxième trimestre 2020, lors du premier confinement, le déflateur du PIB a augmenté, tiré par le déflateur de la consommation des administrations publiques (APU). En effet, les fermetures d’activités non marchandes (salles de spectacle, musées, guichets de certaines administrations, etc.) lors des différents confinements ont réduit la production en volume, et le maintien des salaires a stabilisé la production en valeur (Houriez, 2020) : les agents économiques ont ainsi payé, via les prélèvements obligatoires, pour un service quantitativement moins important – ce qui correspond à une hausse de prix. Cet effet, invisible dans l’IPC ou dans le déflateur de la seule consommation des ménages qui ne s’intéressent qu’aux achats directs, est nettement visible dans le déflateur du PIB au deuxième trimestre 2020 et reflue naturellement ensuite ; il demeure toutefois non négligeable en 2021, avec les fermetures des lieux de culture, des classes, etc.

Par la suite, à partir de 2021, les différents prix ont commencé à augmenter. Se dessine alors un récit relativement cohérent de la dissémination des hausses de prix dans l’économie :

  • Les déflateurs des échanges extérieurs, qui avaient reculé au début de l’année 2020, augmentent assez nettement à partir du quatrième trimestre de cette année, et accélèrent considérablement en 2021. Le déflateur des importations est notamment tiré par le prix des matières premières, l’accélération se faisant encore plus nette à partir du premier trimestre 2022, en lien avec la guerre en Ukraine et le redoublement des tensions inflationnistes. Par ailleurs, la hausse du déflateur des exportations est notamment tirée par le prix du fret maritime et par les prix agricoles ;
  • Le déflateur de l’investissement semble suivre de manière assez précoce le rythme des prix d’importations : par exemple les prix de la construction neuve sont largement dépendants des prix des matières premières importées ;
  • Le déflateur de la consommation des ménages accélère avec un peu retard, au deuxième semestre 2021, le temps que les prix d’imports se diffusent aux prix de consommation.

Pour en savoir plus

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