La consommation alimentaire diminue : oui mais de combien ?

Temps de lecture : 15 minutes
Lionel Delta, Thomas Laurent, Pierre Leblanc et Théo Leroy, Insee.
© monticellllo – stock.adobe.com

Mesurer aussi précisément que possible la consommation alimentaire des ménages est primordial, particulièrement lorsqu’elle évolue de façon exceptionnelle. L’Insee réalise chaque mois et chaque trimestre une estimation de son évolution. Jusqu’à récemment, la précision de ces estimations était limitée par le niveau de détail par produits des indicateurs mensuels utilisés, ce qui conduisait régulièrement à des révisions importantes lorsque les chiffres mensuels et trimestriels étaient confrontés aux estimations des comptes annuels, plus détaillés.
À partir de la première publication du compte trimestriel portant sur le 3e trimestre 2023, les données de caisse de la grande distribution alimentaire sont mobilisées pour ces estimations, ce qui permet de travailler à un niveau plus détaillé. Sans que soient révisées les estimations annuelles jusqu’en 2022, cela conduit à revoir significativement à la hausse la consommation de produits alimentaires sur les trimestres les plus récents. Le diagnostic d’une baisse inédite de la consommation alimentaire n’est pas remis en cause, mais l’ampleur de cette baisse depuis la mi-2021 est réduite.
La nouvelle méthodologie permet aussi de mieux analyser ces estimations de consommation, contribuant à la qualité des chiffres produits.

Les ménages consacrent un cinquième de leur dépense de consommation aux produits alimentaires. Très fréquents, les achats alimentaires sont au cœur de la consommation du quotidien. En outre, comme ils couvrent un besoin de première nécessité, ce segment de la consommation retient tout particulièrement l’attention des observateurs de l’Insee et du grand public.

Or depuis 2020, la consommation alimentaire a varié de façon exceptionnelle en volume, c’est-à-dire après correction de l’effet de l’inflation (voir zoom en fin d’article pour plus d’explication sur le concept d’évolution en volume). Elle a d’abord augmenté fortement durant les confinements mis en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19, la consommation à domicile se substituant aux dépenses à l’extérieur, les cafés et restaurants étant fermés. Puis, après un bref retour à la normale, la consommation a baissé de manière inédite, face à une hausse marquée des prix alimentaires en sortie de crise sanitaire, exacerbée par le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine en 2022. Cette diminution de la consommation alimentaire en volume, telle qu’elle est mesurée dans les comptes nationaux, peut refléter plusieurs types d’évolutions des comportements : il peut s’agir de baisses effectives des quantités consommées mais aussi de changements dans la qualité des produits achetés (Insee, 2023).

Ces évolutions sont mesurées à un niveau très détaillé dans les comptes nationaux annuels, disponibles dans leur version provisoire dès le mois de mai suivant la fin de l’année d’intérêt (cf. la note méthodologique sur le sujet). Pour compléter et surtout anticiper cette information, l’Insee réalise des estimations infra-annuelles, diffusées dans les comptes trimestriels et la consommation mensuelle des ménages en biens (il s’agit de deux présentations des mêmes estimations sous jacentes), à partir de données nettement moins détaillées.

Une méthode jusqu’ici insuffisamment précise pour mesurer les évolutions récentes

Pour mesurer la consommation alimentaire mensuelle (hors tabac), l’Insee s’appuyait principalement jusqu’ici sur l’enquête mensuelle sur le commerce de détail de la Banque de France. Celle-ci fournit des séries de consommation en valeur, issues des déclarations de chiffres d’affaires d’acteurs du commerce de détail. Deux séries sur l’alimentaire disponibles à des niveaux très agrégés par produit étaient utilisées : l’une sur l’alimentaire hors viande et l’autre sur l’alimentaire de type viande. Dans un deuxième temps, on obtenait des séries de consommation en volume, corrigées de l’effet de l’inflation, en utilisant les indices de prix à la consommation calculés par l’Insee (on parle de « partage volume-prix »).

En dehors de la consommation en viandes, il n’était dès lors pas possible de mesurer à un niveau fin les évolutions des dépenses de consommation par produit. L’utilisation d’un unique indicateur en valeur dans les étalonnages-calages des comptes trimestriels (cf. Insee Méthodes 126 pour une présentation de la méthode d’étalonnage-calage) conduisait à stabiliser sur l’année en cours les parts des différents produits dans les dépenses alimentaires en euros courants, en ignorant les différences d’évolutions entre produits, pouvant provenir d’évolution contrastée des prix ou de recomposition du panier de consommation. L’effet des évolutions des prix était ensuite pris en compte en divisant les consommations en valeur par des indices de prix à la consommation spécifiques à chaque produit pour en déduire les évolutions en volume, mais sans tenir compte du fait que les variations relatives des prix pouvaient conduire les ménages à faire varier la part de leurs dépenses consacrées à chaque produit. Si cette simplification était acceptable en période d’inflation modérée, l’imprécision augmente lors d’épisodes de forte inflation, car le panier de consommation des ménages est susceptible de se déformer davantage. En 2022 par exemple, cette méthode avait permis de bien diagnostiquer une nette baisse de la consommation alimentaire, mais l’ampleur de la baisse avait été surestimée de 1 point (-4,5 % au lieu de -3,5 %) par rapport à ce qui a été mesuré dans le compte provisoire annuel publié en mai 2023, à partir de données plus précises.

Des données de caisse désormais exploitables pour l’étude de la consommation alimentaire

Les données de caisse de la grande distribution alimentaire constituent une source particulièrement riche pour mesurer et analyser l’activité et la consommation de ce secteur. Si elles étaient déjà exploitées depuis 2020 pour élaborer l’indice des prix à la consommation [Leclair, 2019], une extension de la réglementation a permis leur utilisation pour l’élaboration d’indices d’activité précoces sur le commerce de détail alimentaire, en remplacement d’une enquête statistique.

Les données de caisse sont transmises quotidiennement à l’Insee par les entreprises du secteur de la grande distribution alimentaire. À chaque point de vente, chaque jour de vente et chaque produit vendu (identifié en général par son numéro d’article européen – EAN – et une description), sont associés un prix, une quantité vendue et le chiffre d’affaires correspondant. La grande majorité des données de vente est reçue dans un délai de deux jours après la date de vente. Ainsi, deux jours après la fin du mois, il ne manque en moyenne que 0,13 % des ventes du mois précédent et seulement 0,02 % après cinq jours.

Si ces données peuvent être utilisées pour mesurer de façon précoce l’activité du « commerce de détail en magasin non spécialisé à prédominance alimentaire », elles peuvent également être utilisées pour mesurer les évolutions de consommation pour les produits où les grandes surfaces alimentaires représentent une part majoritaire ou significative du commerce de détail. Afin de produire des indices d’évolution par produit à partir des données de caisse, il est nécessaire d’attribuer à chaque denrée alimentaire un code de la nomenclature de produits française. On a recours ici à un algorithme d’apprentissage permettant une classification automatique des libellés. Dans un premier temps, le choix s’est porté sur le niveau comprenant 129 postes de la nomenclature française NA2008 : ce degré de détail offre un bon compromis entre les besoins des utilisateurs (en particulier les comptables nationaux) et les potentialités de la classification automatique (et en premier lieu le niveau d’information contenu dans le texte). Des exploitations ultérieures à un niveau plus détaillé sont toutefois possibles.

Une fois les produits « classés » dans les catégories appropriées, la série d’indices d’évolution pour un produit donné est alors calculée en « chaînant » mois par mois l’indice du mois précédent avec l’évolution des ventes constatée entre les deux mois.

… ce qui permet une estimation plus précise de la consommation mensuelle

À partir des évolutions mesurées dans les données de caisse par produit, il devient alors envisageable d’enrichir et d’affiner la méthodologie d’estimation de la consommation alimentaire au niveau de la nomenclature en 129 postes. Selon les familles de produits considérés, différents cas de figure se présentent suivant la part de marché que représente la grande distribution.

Pour certains produits tels que les conserves de fruits ou légumes ou les huiles, la grande distribution alimentaire capte l’essentiel des achats. Dès lors, les données de caisse constituent à elles seules de très bons indicateurs permettant d’estimer directement la consommation totale en valeur (y compris hors des grandes surfaces).

Pour d’autres produits, la grande distribution représente une part importante mais non prépondérante de la consommation, qui peut aussi avoir lieu dans des commerces spécialisés (fruits et légumes frais, boucheries…). Pour représenter ces autres formes de commerce, d’autres indicateurs s’avèrent utiles, en l’occurrence les indices de chiffres d’affaires produits par l’Insee à partir des déclarations de TVA. Comme les données de caisse, ceux-ci constituent des indicateurs en valeur.

À partir de ces différents indicateurs (données de caisse et indices de chiffres d’affaires), il est alors possible de construire un indicateur synthétique d’évolution de la consommation en valeur qui rend compte des parts de marché respectives de la grande distribution et des commerces spécialisés pour chacun de ces produits (figure 1).

Figure 1 – Sources de données utilisées pour estimer l’évolution de la consommation selon le produit alimentaire

Sources de données utilisées pour estimer l’évolution de la consommation selon le produit alimentaire

Une fois la consommation en valeur obtenue au niveau 129 de la nomenclature, un partage volume-prix à partir des indices de prix à la consommation permet de déduire la consommation en volume pour les différents produits, comme c’était le cas auparavant mais à des niveaux souvent plus agrégés.

Un diagnostic affiné sur les quatre dernières années

L’utilisation de cette nouvelle source d’information issue notamment des données de caisse dans les comptes conduit à réviser significativement la consommation de produits alimentaires, notamment sur les mois les plus récents (figure 2). Compte tenu de l’actualité du sujet, le choix a été fait d’accélérer la mise au point de cette nouvelle méthode et de la mettre en œuvre dès les publications des comptes du 3e trimestre 2023. Cela permet de bénéficier dès à présent du gain méthodologique, sans attendre les révisions ordinairement passées avec la parution des comptes annuels. Le changement de méthode est en outre de nature à limiter la révision de la consommation alimentaire en 2023 lors de la publication du compte annuel provisoire, en mai 2024.

Figure 2 – Évolution mensuelle de la consommation alimentaire totale selon les deux méthodes

Evolution mensuelle de la consommation alimentaire totale selon les deux méthodes (base 100 en 219)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

Les différences d’évolutions mensuelles entre les estimations faites à partir des nouvelles et anciennes sources de données ne remettent cependant pas en cause les estimations de la consommation alimentaire totale des années 2021 et 2022, les évolutions infra-annuelles étant calées sur les consommations annuelles dont on dispose déjà. De même, le point haut de mars 2021 correspondant au mois précédant le « 3e confinement » et le point bas en avril 2023 sont conservés. L’ampleur de la chute de la consommation diffère cependant suivant les deux méthodologies. À partir de la nouvelle méthodologie, la consommation alimentaire sur le mois d’avril 2023 est ainsi inférieure de 13,9 % à ce qu’elle était en mars 2021 ; cet écart était de 15,9 % avec l’ancienne méthodologie. Par ailleurs, sur les neuf premiers mois de l’année 2023, les deux méthodes aboutissent à des courbes d’évolution mensuelle de la consommation alimentaire assez proches. Le rebond amorcé après le mois d’avril 2023 semble pour l’heure avoir mis un coup d’arrêt à la baisse tendancielle des dépenses de consommation alimentaire, ce qui était déjà visible avec l’ancienne méthodologie.

Sur la période de 18 mois allant de mi-2021 à fin 2022, les méthodologies divergent en revanche davantage. Ainsi, si les nouvelles estimations mettent également en évidence un important repli de la consommation alimentaire à la suite du 3e confinement, elles ne font néanmoins pas état d’un rebond de la consommation fin 2021. Au contraire, la baisse de la consommation alimentaire s’est poursuivie (à un rythme certes ralenti) jusqu’à février 2022. Par la suite, le printemps et l’été 2022 ont été marqués par des à-coups dans l’évolution de la consommation alimentaire ; l’actualité internationale et notamment les événements en Ukraine ont eu des répercussions sur la conjoncture économique avec des effets qui ont pu jouer en sens contraires. D’un côté, le coup d’accélérateur à la hausse des prix a pu peser sur la consommation alimentaire en volume. Mais de l’autre côté, des risques de pénurie sont apparus sur certains produits et ont pu encourager les ménages à constituer des stocks de précaution, ce qui est de nature à tirer la consommation à la hausse. Il ressort des estimations issues des nouvelles sources de données qu’après ces premières perturbations économiques, la consommation alimentaire a de nouveau baissé fortement à partir du mois de septembre 2022 et ce jusqu’au mois d’avril 2023.

Les révisions trimestrielles liées à la mise en place de la nouvelle méthode d’estimation se compensent sur chacune des années 2020 à 2022, puisque les estimations mensuelles sont calées sur une même valeur annuelle. Sur les trois premiers trimestres de l’année 2023, la consommation alimentaire en volume constant est en revanche nettement revue à la hausse par rapport à l’ancienne méthode (figure 3).

Figure 3 – Révisions des estimations trimestrielles de la consommation alimentaire totale (en millions d’euros)

Révisions des estimations trimestrielles de la consommation alimentaire totale (base 100 en 2019)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

Ces révisions sur les trois premiers trimestres de 2023 peuvent sembler importantes (un peu plus d’un milliard d’euros par trimestre). Mais l’opération de calage sur l’estimation provisoire de la consommation alimentaire annuelle amenait déjà habituellement à revoir significativement le niveau de la consommation alimentaire issu des estimations mensuelles et trimestrielles. Plus précise, la nouvelle méthode d’estimation est spontanément plus proche de la consommation annuelle en 2022 (figure 4). Elle devrait ainsi permettre une meilleure anticipation par les comptes trimestriels de la consommation annuelle pour 2023 et les années suivantes.

Figure 4 – Révisions des estimations trimestrielles liées au calage sur le compte provisoire annuel 2022

Révisions des estimations trimestrielles liées au calage sur le compte provisoire annuel 2022 (en millions d'euros)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

Au-delà de ce gain de précision, ces nouvelles sources de données permettent une analyse plus détaillée de l’évolution des composantes de la consommation alimentaire. Prenons ainsi le cas des deux premiers trimestres de 2020, au moment du 1er confinement en France. Celui-ci est marqué par un pic de la consommation alimentaire. Au niveau plus fin, les anciennes estimations suggéraient des hausses généralisées sur les différentes composantes de l’agroalimentaire comme la viande ou les boissons. Or, si auparavant nous disposions d’un indicateur spécifique permettant d’estimer les dépenses de consommation sur le poste de la viande, ce n’était pas le cas en matière de consommation de boissons.

L’introduction des données de caisse dans nos estimations permet une analyse plus riche. Ainsi, le volume mensuel des boissons consommé lors de ces deux trimestres est finalement en-deçà du niveau observé en 2019 ou au cours de l’été 2020 par exemple (figure 5).

À l’inverse, malgré le changement de sources de données, les nouvelles estimations sur la consommation de viande restent proches de nos estimations initiales (figure 6).

Figure 5 – Évolution trimestrielle de la consommation de boissons selon les deux méthodes

Evolution trimestrielle de la consommation de boissons selon les deux méthodes (consommation alimentaire totale de 2019 = 100)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

Figure 6 – Evolution trimestrielle de la consommation de viande selon les deux méthodes (consommation alimentaire totale de 2019 = 100)

Evolution trimestrielle de la consommation de viande selon les deux méthodes (consommation alimentaire totale de 2019 = 100)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

Dans ce cas, le gain est naturellement plus limité car un indicateur spécifique au poste de la viande était déjà utilisé. Les deux méthodes sont donc mises en œuvre au même niveau d’agrégation pour ce produit. Ce qui suggère que le problème de l’ancienne méthodologie ne venait pas de la qualité des indicateurs d’activité du commerce de détail, mais bien du niveau de désagrégation disponible pour mettre en œuvre la méthode.

De fait, l’utilisation de données de caisse contribue à la richesse de l’information aux niveaux fins. C’est plus particulièrement le cas pour les composantes où l’information faisait défaut.
La nouvelle méthodologie suggère qu’au cours du 1er trimestre 2023, qui constitue un point bas, l’écart de consommation mensuelle en produits agro-alimentaires par rapport à l’année 2019 est moins important que ce nous estimions jusqu’à présent.
La baisse de consommation de produits laitiers est nettement moins importante, mais ce sont là encore les produits alimentaires « divers » qui sont marqués par un niveau de consommation mensuelle plus élevé qu’en 2019. La consommation mensuelle de boissons est également, au 1er trimestre 2023, supérieure à son niveau de 2019 (figure 7).

Figure 7 – Différences de consommation mensuelle en volume entre 2019 et le T1 2023 selon les deux méthodes

Différences de consommation mensuelle en volume entre 2019 et le T1 2023 (consommation alimentaire totale de 2019 = 100)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

Parmi les produits alimentaires « divers », les différentes composantes n’ont pas évolué de façon homogène, notamment en comparaison avec les niveaux mensuels estimés pour 2019. Si le volume mensuel de consommation pour ce sous-ensemble est, au T1 2023, supérieur à celui de 2019, certaines des composantes sont en net retrait par rapport à leurs niveaux d’avant-crise (figure 8).

Figure 8 – Différences de consommation mensuelle en volume entre 2019 et le T1 2023 pour les produits alimentaires divers selon les deux méthodes

Différences de consommation mensuelle en volume entre 2019 et le T1 2023 pour les produits alimentaires divers selon les deux méthodes (consommation alimentaire totale de 2019 = 100)
Source : Insee, comptes nationaux trimestriels, première estimation du 3e trimestre 2023

C’est notamment le cas de la consommation en produits transformés et conserves de types fruits et légumes ou de poissons, ainsi que celle en huiles et autres matières grasses, tirée à la baisse par une forte hausse des prix en 2022 notamment.
À l’inverse, le volume consommé de pâtes alimentaires et produits de boulangerie ou pâtisserie était par exemple sensiblement plus élevé qu’en 2019.

Zoom sur le concept de volume dans les comptes nationaux : un exemple avec la consommation de viande en 2022

Pour bien expliquer le concept de volume des comptes nationaux, prenons l’exemple de la consommation de produits carnés en 2022, qui a été documentée dans une publication de France AgriMer. La publication nous donne notamment des indications sur les prix moyens au kg de différents types de viande. Les prix ont fortement augmenté en 2022, avec des variations entre les différents types de viande.

tableau 1
Source : France AgriMer, 2023.

Examinons le comportement de deux consommateurs fictifs qui avaient la même consommation de viande en 2021 mais ont adapté différemment leurs comportements face à la hausse des prix.

Le premier consommateur a réduit sa consommation de viande en quantité, passant de 80 à 73 kg consommés, mais sans modifier radicalement la composition en types de viande de son « panier ». Nous pouvons facilement calculer la « valeur » de sa consommation à prix courant, en 2021 comme en 2022, en multipliant les quantités achetées par les prix. Il a ainsi dépensé 923 € en 2021 et 913 € en 2022, soit une baisse d’un peu plus de 1 % de sa dépense.
Cette baisse est nettement inférieure à la baisse des quantités consommées, car celle-ci compense une hausse des prix. La comptabilité nationale a développé la notion de « volume » pour corriger les évolutions en valeur, exprimée en euros courants, de l’effet des prix. Ces volumes sont dits « au prix de l’année précédente » car on estime l’évolution en volume entre 2021 et 2022 en recalculant la dépense de 2022 en appliquant les prix de 2021 aux quantités 2022, et en comparant cette dépense à la dépense de 2021 en euros courants. Ainsi l’effet des prix est neutralisé car le même ensemble de prix, ceux pratiqués en 2021, est utilisé pour évaluer la consommation en 2021 et 2022. Ce premier consommateur a donc consommé 841 € en 2022 aux prix de 2021, en baisse de 9 % par rapport aux 923 € dépensés en 2021 (aux mêmes prix de 2021). Cette baisse en volume est très proche de la baisse en quantité car le consommateur n’a pas modifié fortement la composition de son panier, mais uniquement sa taille. Son panier a donc la même « qualité » moyenne par kg de viande.

Prenons un deuxième consommateur ayant une stratégie diamétralement opposée : il a cherché à maintenir sa quantité de viande consommée en kilogramme, quitte à privilégier des viandes plus abordables. Il a ainsi consommé moins de viande bovine fraîche (hachée ou non) et plus de viande surgelée et de viande de porc, moins onéreuse au kilogramme. En euros courants, cette modification de comportement lui permet tout juste de compenser la hausse des prix, et il a dépensé un euro de moins en 2022 qu’en 2021. En volume « aux prix de l’année précédente », il a consommé 849 €, une baisse de 8 %.
Il faut comprendre cette baisse en volume malgré des quantités stables comme une baisse de « qualité » de son panier de consommation, du fait du report vers des viandes moins onéreuses. Cet effet « qualité » ne doit pas être compris comme un jugement gastronomique, nutritif ou écologique sur les différents types de viandes, mais découle de la simple comparaison des prix observés une année de référence donnée, ici 2021. Pour chaque catégorie de produit, les évolutions en volumes et en quantités sont identiques par construction, mais l’agrégation totale, par somme, évolue différemment. Dans le calcul en volume, les évolutions à la baisse des viandes plus onéreuses sont davantage pondérées, du fait de leurs prix plus élevés, ce qui conduit à une évolution globale en baisse. Un kilogramme de viande bovine à griller est ainsi pondéré un peu plus de deux fois plus dans le volume de consommation qu’un kilogramme de viande de porc, car c’est le rapport de leurs prix en 2021.

Cet exemple, simplifié à dessein, montre que deux stratégies de consommation différentes (réduction de la quantité ou changement de gamme) peuvent se traduire par des évolutions en valeur et volumes proches dans les comptes nationaux. Nous pourrions vouloir travailler à un niveau encore plus fin, en distinguant par exemple les viandes selon leur provenance, la pièce considérée, etc., mais cela serait impossible à mettre en œuvre en pratique. Nous travaillons donc à niveau raisonnable d’agrégation, les évolutions fines de prix étant capturées dans l’indice des prix à la consommation, estimé à un niveau très fin.
La méthodologie des comptes trimestriels, qui part d’indicateurs en valeur de la consommation de viande totale puis les corrigent de l’évolution des prix mesurés par l’indice des prix à la consommation, permet d’obtenir une approximation raisonnable des calculs présentés ici à un niveau très fin : en pondérant les évolutions des prix par les quantités consommées en 2021, nous obtenons une évolution moyenne du prix de la viande de 8 %. Et en corrigeant les évolutions de la consommation en valeur de nos deux consommateurs (respectivement -1 % et 0 %) de ce prix moyen, nous retombons bien sur les évolutions en volume de -9 % et -8 % respectivement. Les comptes annuels appliquent les mêmes principes mais à un niveau plus détaillé, en distinguant le porc du bœuf mais sans détailler les viandes bovines entre elles par exemple.

Pour en savoir plus

Partager