L’entreprise : un concept économique plutôt qu’une définition juridique

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François-Xavier Dussud, Insee

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L’Insee a publié mercredi 1er décembre l’édition 2021 de « Les entreprises en France », ouvrage statistique annuel de référence sur le tissu économique des entreprises en France. Un des principaux résultats de cette édition est que la situation financière des petites et moyennes entreprises s’est améliorée sur la période 2015-2019, en amont de la crise du Covid-19.Depuis trois ans, l’Insee s’appuie sur le concept économique d’entreprise pour mieux rendre compte de l’organisation et des performances des entreprises françaises. Avec cette nouvelle vision, le tissu productif est plus concentré, et le poids des secteurs est modifié : en particulier, ceux de l’industrie et de la construction sont accrus. Ces travaux, lancés au niveau européen, ont vocation à être déclinés par pays afin de permettre notamment une meilleure comparaison entre États membres.

L’analyse économique du système productif définit l’entreprise comme « la plus petite combinaison d’unités légales qui constitue une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes ». Cette définition a notamment été reprise dans la loi de modernisation de l’économie (LME) de 2008.

Dans les statistiques produites par l’Insee, la notion d’entreprise a pourtant longtemps été associée à sa définition purement juridique, à savoir l’« unité légale » inscrite au répertoire Sirene de l’Insee. Cette approche par les unités légales (UL) permet de disposer de nombreuses informations administratives qui sont collectées à ce niveau. Toutefois, beaucoup d’unités légales ne sont pas autonomes : elles appartiennent à un ensemble plus large, qui regroupe plusieurs unités et qui détient le pouvoir de décision, notamment sur la répartition des facteurs de production ou la recherche et développement par exemple. Cet ensemble définit l’entreprise. Les entreprises peuvent exercer une ou plusieurs activités dans un ou plusieurs lieux, et compter une ou plusieurs unités légales (voir les schémas à la fin de cet article). Plusieurs entreprises peuvent coexister au sein d’un groupe. Dans l’approche par les unités légales, les statistiques économiques sont sensibles aux changements d’organisation des groupes. Si, par exemple, un groupe décide de filialiser tout ou partie de ses activités de commerce, auparavant intégrées dans son organisation, on dénombrera plus d’unités dans ce secteur, sans que cette croissance du commerce traduise une quelconque réalité économique. C’est pourquoi l’Insee appuie désormais ses statistiques structurelles sur les entreprises au sens économique, afin de disposer d’une vision plus pertinente des performances du tissu productif.

Comment définir le contour d’une entreprise ? Quel est son secteur d’activité, sa taille ? Et plus généralement comment obtenir des statistiques sur ces nouvelles unités ? Autant de questions pour lesquelles la réponse diffère selon la taille de l’entreprise, selon qu’elle appartient ou non à un groupe, si c’est une entreprise nationale ou internationale, etc. La méthode utilisée pour calculer ces statistiques se fonde sur les données des unités légales qui les composent et sur des hypothèses concernant les flux d’échanges internes, entre unités légales de la même entreprise. En consolidant ainsi, au sens comptable, les données, on fait varier de façon significative la représentation de l’activité économique en France, notamment en matière de concentration, ainsi que la valeur de certaines grandeurs telles le chiffre d’affaires ou les dividendes.

Une nouvelle vision du tissu productif

Dans l’approche en « entreprise », le tissu productif est plus concentré que dans l’approche en « unité légale ». En effet, les entreprises peuvent rassembler plusieurs unités légales, de quelques-unes (61 % d’entre elles n’en ont que deux) à plusieurs centaines. Ainsi, dans les secteurs principalement marchands non agricoles et non financiers, les 500 entreprises les plus grandes en nombre de salariés concentrent à elles seules 34 % des effectifs (graphique), contre 22 % si on s’en tient aux 500 plus grandes unités légales. La concentration est aussi plus marquée lorsqu’il s’agit des exportations ou du total de bilan : les 500 entreprises qui exportent le plus en proportion de leur chiffre d’affaires cumulent 72 % du total des exportations (contre 62 % mesurés en unités légales) ; et celles portant le plus de bilan concentrent 63 % du bilan total (contre 49 % pour les unités légales).

Concentration des principaux agrégats économiques au sein de la population des entreprises (2017)

Concentration des principaux agrégats économiques au sein de la population des entreprises (2017)

Dans tous les secteurs, certaines entreprises ont créé des sociétés spécialisées dans les services financiers ou pour leur gestion propre. Ces sociétés peuvent prendre la forme de holdings, de sièges sociaux, d’auxiliaires de services financiers et d’assurances ou de services immobiliers qui portent l’essentiel du bilan de l’entreprise (titres de participation, fonds propres, dettes, etc.). Ainsi, quand on prend en compte l’ensemble des filiales des entreprises de l’industrie et de la construction, le poids économique de ces deux secteurs est accru relativement à celui mesuré en unités légales, À l’inverse, le poids du commerce et des services marchands est réduit. Celui des transports est inchangé. Cette modification du poids économique des secteurs est plus ou moins grande selon la variable économique considérée. Par exemple, en passant de l’approche en « unité légale » à celle en « entreprise », le poids de l’industrie s’accroît de 3 points pour les effectifs salariés ou la valeur ajoutée, il augmente de 6 points pour le chiffre d’affaires à l’exportation.

Une démarche européenne, déclinée au niveau national

Le passage au concept économique d’entreprise n’est pas propre à la France. En effet, tous les pays de l’Union européenne travailleront et diffuseront à l’avenir leurs données en « entreprise ». L’objectif est de permettre à terme une meilleure comparaison du tissu économique des États membres, indépendamment des structures juridiques qui peuvent être propres à chacun d’eux. Pour y arriver, des échanges nombreux avec nos partenaires sont nécessaires afin de mettre en œuvre des méthodes comparables.

Par ailleurs, afin d’expliquer au mieux ces nouvelles statistiques, d’en faire comprendre les enjeux et impacts, l’Insee a souhaité associer un groupe d’utilisateurs avertis des statistiques d’entreprises à la diffusion de ces chiffres. Un groupe de travail a ainsi été constitué dans le cadre de la commission « Entreprises et stratégies de marché » du Cnis. Ce groupe a examiné des propositions de publications rénovées et documents pédagogiques visant à accompagner la diffusion des nouvelles données. Les participants ont aussi pu être des relais pour expliquer les évolutions conceptuelles et méthodologiques dans leurs cercles professionnels respectifs.

L’édition 2019 de l’Insee Références sur les entreprises en France a été la première à utiliser le concept d’entreprise en mettant en œuvre les recommandations de ce groupe de travail. Début 2021, une nouvelle concertation a été menée, pour tirer un premier bilan des deux précédents ouvrages basés sur le concept d’entreprise. Les participants ont confirmé leur intérêt pour cette évolution. Plusieurs ont insisté pour poursuivre l’effort pédagogique en direction des lecteurs. C’est pourquoi certaines fiches ont été légèrement réaménagées dans cette édition 2021. La prochaine édition (parution fin 2022) intégrera d’autres évolutions suggérées au cours de ces échanges.

« Les entreprises en France » – édition 2021 : une analyse des années précédant la crise

« Les entreprises en France » édition 2021 présente notamment une vue d’ensemble de l’appareil productif français avant la crise sanitaire de la Covid-19. Sur la période 2015-2019, la situation financière des petites et moyennes entreprises (TPE-PME) s’est globalement améliorée. Le taux d’endettement financier des TPE-PME n’a cessé de baisser entre 2015 et 2018, pour ensuite légèrement remonter en 2019. Cet assainissement des bilans a redonné une capacité d’endettement aux TPE-PME en amont de la crise de la Covid-19. La structure financière des TPE-PME des secteurs qui ont été par la suite les plus touchés par la crise sanitaire s’est nettement améliorée entre 2015 et 2019, mais elle demeure dégradée par rapport à celle de l’ensemble des TPE-PME. Le partage de l’évolution du revenu en 2020 diffère ainsi sensiblement du partage « en niveau » du revenu entre consommation et épargne.

Une telle analyse a été rendue possible grâce à la constitution d’un panel d’entreprises à partir de différentes sources statistiques. Les entreprises ont ainsi pu être suivies pendant 5 ans, de 2015 à 2019. C’était une demande récurrente des utilisateurs de nos données que de pouvoir réaliser des comparaisons dans le temps. Les chiffres-clés par secteurs publiés chaque année pour les années A et A-1 apportaient une première réponse. La constitution du panel sur 5 ans est une réponse supplémentaire, qui pourrait être enrichie chaque année d’un millésime pour des analyses sur plus longue période.

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