Mesurer l’évolution des salaires à court terme : une palette d’indicateurs statistiques complémentaires
Pour éclairer le débat public sur les hausses de salaires au regard de l’inflation, et plus généralement les évolutions des salaires à court terme, la statistique publique produit plusieurs indicateurs trimestriels qui apportent des informations complémentaires. Le Salaire mensuel de base (SMB), dont une première estimation est publiée à environ T + 35 jours (c’est-à-dire 35 jours après la fin du trimestre T sur lequel portent les résultats), reflète la tendance sous-jacente des salaires, résultat des négociations collectives. Le Salaire moyen par tête (SMPT), publié à T + 60 jours, retrace quant à lui la rémunération effectivement perçue par les salariés en moyenne. Enfin, l’Indice de coût du travail (ICT), publié à T + 75 jours, se décline sous la forme de deux indicateurs, reflétant pour l’un le salaire rapporté à une heure de travail, pour l’autre plus largement le coût horaire de la main-d’œuvre. Les délais de publication de l’ICT seront réduits d’un mois à compter de novembre 2023 : une première estimation sera publiée 45 jours après la fin du trimestre considéré.
Alors qu’en France l’inflation atteint depuis près de deux ans des niveaux élevés, inédits depuis les années 1980, la question des hausses de salaires est revenue sur le devant de la scène : celles-ci suivent elles l’inflation ou le pouvoir d’achat tiré des revenus du travail s’érode-t-il ?
En effet, si les mécanismes légaux de revalorisation automatique du Smic garantissent que celui-ci augmente a minima comme les prix à la consommation, seuls les salariés payés au niveau du salaire minimum ou juste au-dessus, soit environ 1 salarié sur 7 dans le secteur privé, sont directement concernés. Mais qu’en est-il plus généralement pour l’ensemble des salariés ?
Afin de répondre à ce type de question, la statistique publique produit plusieurs indicateurs conjoncturels de salaires ; focus sur chacun d’eux, ce qu’ils apportent à l’analyse économique, et ce qui les différencie.
Le salaire, du concept à sa mesure statistique
Avant tout, lorsqu’on évoque les salaires, de quoi parle-t-on exactement ? Le salaire est le paiement du travail convenu entre un salarié et son employeur. Au sens statistique, il a une définition large, suivant en cela des conventions internationales qui permettent la comparaison entre pays : il comprend ainsi le salaire de base (ou le traitement indiciaire dans la fonction publique), et des éléments variables de rémunération tels que les primes, les avantages en nature, la rémunération des éventuelles heures supplémentaires… Il comprend également d’autres éléments comme l’épargne salariale (Insee, septembre 2023 – a).
La production de l’information statistique sur les salaires en France repose sur l’exploitation de différentes sources. Au cœur du dispositif, une source administrative, la Déclaration sociale nominative (DSN), que les employeurs produisent chaque mois à partir des fiches de paie et adressent aux organismes de protection sociale pour le calcul et le paiement des cotisations sociales (Renne, 2018). La DSN contient ainsi par essence des informations fiables sur les montants des « assiettes », c’est-à-dire des rémunérations versées aux salariés sur la base desquelles sont calculés les prélèvements sociaux ou fiscaux (cotisations de sécurité sociale, cotisations au régime d’assurance chômage, CSG, impôt sur le revenu des personnes physiques, etc.). Pour autant, le périmètre de ces différentes assiettes sociales ou fiscales coïncide rarement avec la définition statistique du salaire : notamment certaines composantes du salaire peuvent être « défiscalisées » ou « désocialisées », c’est-à-dire exonérées d’un ou plusieurs types de prélèvements, et ainsi exclues des assiettes correspondantes. C’est le cas par exemple de la récente Prime de partage de la valeur (PPV).
Une analyse détaillée de la distribution des salaires ou des trajectoires salariales individuelles nécessite donc de reconstituer, pour chaque salarié, un salaire à partir des assiettes déclarées et des informations disponibles sur les composantes de la rémunération exclues de ces dernières, tout en s’assurant de leur cohérence d’ensemble : c’est l’objet de la production de bases de micro-données annuelles sur l’emploi et les rémunérations. Les données disponibles dans la DSN permettent en effet de reconstituer un salaire global, sans pour autant disposer du détail de toutes ses composantes. Les bases produites chaque année permettent des comparaisons structurelles du salaire global avant et après déduction des prélèvements sociaux à la charge du salarié (on parle de salaire brut dans le premier cas, de salaire net dans le second) selon les caractéristiques des salariés : les écarts de salaires entre les femmes et les hommes, entre les tranches d’âge, selon les centiles de salaires, etc. Cette fréquence annuelle est adaptée à la pertinence du montant annuel des salaires, au niveau individuel (versement de primes annuelles comme l’intéressement, la participation, le 13e mois, etc.) ; les statistiques structurelles ne sont cependant disponibles qu’avec un certain délai (elles sont désormais publiées, pour une année considérée, dans le courant de l’automne de l’année suivante), lié au traitement et à la mise en cohérence des données au niveau individuel.
En revanche, pour le suivi conjoncturel, qui vise à produire des indicateurs macroéconomiques trimestriels retraçant l’évolution des salaires, la nécessité de disposer de données rapidement conduit à mener l’analyse, non au niveau du salarié, mais par établissement, avec une ventilation selon leur secteur d’activité. Ce choix conduit à porter l’analyse au niveau du salaire brut et, selon les indicateurs conjoncturels, à se limiter à une définition plus restreinte du salaire que sa définition statistique évoquée précédemment.
Indicateurs trimestriels ou mensuels ?
La fréquence trimestrielle des différents indicateurs conjoncturels de salaires, à l’origine dictée par la temporalité des sources, constitue un bon compromis entre fraîcheur et robustesse de l’information ainsi mise à disposition. La nature mensuelle de la Déclaration sociale nominative, qui s’est progressivement substituée aux anciennes déclarations sociales ces dernières années, laisse envisager d’augmenter la fréquence des indicateurs publiés. Pour cela, il faudrait néanmoins que la volatilité de l’information mensuelle disponible soit suffisamment contenue pour que les variations des salaires observées au mois le mois soient bien lisibles, c’est-à-dire que leur signal économique soit plus fort que le bruit statistique intrinsèque à tout indicateur.
Les fluctuations statistiques peuvent refléter aussi bien des aléas réels (par exemple versement de primes à des moments différents d’une année sur l’autre dans une grande entreprise), ou bien des aléas liés à la collecte des données (par exemple établissements retardataires dans la DSN). Elles croissent avec la finesse des dimensions sur lesquelles l’indicateur statistique est analysé (période analysée de plus en plus courte, secteurs d’activité de plus en plus fins, etc.).
Or, s’agissant des salaires issus de la DSN, il n’est pas établi à ce stade que la volatilité mensuelle soit suffisamment limitée au regard du signal économique apporté par l’indicateur. De même, parmi les nombreux indicateurs conjoncturels publiés par l’Insee sur d’autres thèmes, tous ne sont pas estimés à une fréquence plus élevée que le trimestre, en premier lieu la croissance du produit intérieur brut (PIB).
Figure 1 – Indicateurs conjoncturels sur les salaires : concept, délai de publication et évolutions récentes
Le salaire mensuel de base, reflet de la tendance sous-jacente des salaires
L’indicateur le plus rapidement disponible sur un trimestre considéré est l’évolution du Salaire mensuel de base (SMB) : elle est publiée environ 35 jours après la fin de ce trimestre, pour les résultats provisoires (Hananel, 2023 – figure 1). Elle est estimée à partir de l’enquête trimestrielle sur l’Activité et les conditions d’emploi de la main-d’œuvre (Acemo) de la Dares, le service statistique du ministère du Travail. Le SMB ne couvre pas l’ensemble du salaire : le salaire de base correspond généralement à la première ligne du bulletin de paye d’un salarié, à l’exclusion des autres composantes (heures supplémentaires, primes, etc.). Son champ est par ailleurs limité aux entreprises non agricoles du secteur privé de 10 salariés ou plus de France hors Mayotte. Dans cette enquête, chaque établissement ou entreprise déclare les salaires de base de postes de travail considérés comme représentatifs d’au plus douze catégories professionnelles.
Les évolutions du SMB reflètent avant tout la tendance sous-jacente des salaires. Elles ne comprennent ni les composantes conjoncturelles de la rémunération ni les effets de l’évolution de la structure des emplois, comme ceux liés à l’élévation tendancielle de la qualification moyenne des salariés. Ses évolutions retracent donc le résultat des négociations collectives sur les salaires, dont les principaux déterminants sont les prix, la dynamique du Smic et les tensions sur le marché du travail.
Le salaire moyen par tête, reflet de la rémunération effectivement perçue par les salariés
Plus complet et proche de la définition statistique du salaire, le Salaire moyen par tête (SMPT) rapporte les masses salariales brutes versées par l’ensemble des entreprises, au nombre de salariés en personnes physiques. En termes conjoncturels, il est calculé chaque trimestre par la Caisse nationale de l’Urssaf à partir des assiettes de cotisations salariales extraites des DSN (Urssaf Caisse nationale, 2023). Les assiettes de cotisations salariales couvrent l’essentiel des rémunérations, notamment la plupart des primes, les heures supplémentaires, mais pas l’épargne salariale. Dans le cadre des comptes nationaux trimestriels, le SMPT est recalculé en corrigeant ce biais par un modèle économétrique, et publié environ 60 jours après la fin d’un trimestre (Insee, août 2023) (figure 2). Calculé par branche d’activité dans le cadre cohérent de la comptabilité nationale, il constitue une composante cruciale pour éclairer le partage de la valeur ajoutée.
Figure 2 – Rémunération des salariés : contours des indicateurs conjoncturels de salaires
L’évolution du SMPT reflète ainsi celle des salaires effectivement perçus en moyenne, car il intègre l’ensemble de leurs composantes, y compris les plus conjoncturelles : primes ponctuelles (13e mois, prime de partage de la valeur…), rémunération d’heures supplémentaires. L’évolution du SMPT reflète également la contrepartie baissière du recours au chômage partiel, dont les indemnités ne sont pas considérées comme du salaire, ce qui explique ses très fortes variations pendant la crise sanitaire de l’épidémie de Covid-19, alors que ces effets ont été neutres sur le SMB (figure 3). Les variations du SMPT reflètent en outre l’évolution de phénomènes plus structurels, notamment la hausse tendancielle des qualifications des salariés ou les tendances d’évolution du recours au temps partiel.
SMB et SMPT permettent ainsi d’analyser la conjoncture des salaires sous des angles complémentaires. Ils font à ce titre l’objet de prévisions dans le cadre des notes de conjoncture de l’Insee, en valeur nominale comme en valeur réelle, c’est-à-dire en corrigeant de l’évolution des prix (Insee, juin 2023 – a). En moyenne sur le deuxième trimestre 2023, le SMPT a augmenté de 5,0 % en un an, soit un rythme légèrement inférieur à l’inflation (+ 5,2 % sur la même période) ; entre mi-2022 et mi-2023 le SMB a progressé de 4,6 %. Le dynamisme des salaires rattrape progressivement celui des prix et pourrait même le dépasser au second semestre 2023. Sans pour autant compenser les pertes de pouvoir d’achat des revenus du travail accumulées depuis près de deux ans ; en effet, si l’on étend la période d’analyse, du deuxième trimestre 2021 au deuxième trimestre 2023, la hausse des salaires demeure nettement moindre que celle des prix : + 7,7 % pour le SMPT (hors effet du chômage partiel) et + 7,8 % pour le SMB, pour une inflation de + 10,7 %.
Figure 3 – Évolutions sur un an des salaires nominaux et des prix (glissements annuels en %)
L’indice de coût du travail, reflet du salaire et du coût de la main-d’œuvre pour une heure de travail
Autre indicateur conjoncturel, l’Indice du coût du travail (ICT) est publié jusqu’à présent environ 75 jours après la fin du dernier trimestre considéré. Il est construit de manière homogène en Europe à des fins de comparaisons internationales (Insee, septembre 2023 – b ; Eurostat, 2023). L’ICT est publié sous la forme de deux indices, l’un portant sur le seul salaire brut horaire, l’autre sur le coût horaire pour l’employeur.
Très proche de la définition statistique du salaire (sans toutefois couvrir l’épargne salariale), l’indice de salaire seul se démarque du SMPT par le fait de mesurer un prix unitaire de la main-d’œuvre pour une heure de travail. Pendant la crise sanitaire il n’a donc pas subi les mêmes variations que le SMPT, le recours au chômage partiel grevant à la fois les salaires et les heures rémunérées (figure 4). Les salaires comme le volume horaire de travail sont issus d’une exploitation des DSN.
L’indice de coût de l’ICT apporte une focale complémentaire, du point de vue des employeurs. Il est calculé par application des barèmes en vigueur, à partir des assiettes de cotisations salariales et des exonérations de cotisations déclarées chaque trimestre à la Caisse nationale de l’Urssaf. Il intègre également d’autres éléments de coût du travail, comme les taxes relatives à l’emploi, les contributions des employeurs au financement de la formation professionnelle, la taxe d’apprentissage, le versement transport, etc. ; il tient compte également des subventions perçues au titre de l’emploi.
Au deuxième trimestre 2023, l’indice de salaire horaire augmente de 4,9 % sur un an pour les secteurs marchands (hors agriculture et services aux ménages), soit un niveau légèrement inférieur à l’inflation. La hausse de l’indice de coût horaire est moindre (+ 4,5 %), notamment du fait d’un recours accru en 2023 aux primes de partage de la valeur, pour lesquelles les employeurs (comme les salariés) sont exonérés de cotisations.
Figure 4 – Évolutions sur un an de l’Indice de coût du travail (glissements annuels en %)
L’Insee réduit ses délais de publication de l’indice de coût du travail
À compter de novembre 2023, l’Insee réduit d’un mois les délais de publication de l’indice du coût du travail (ICT). Une première estimation (« estimation flash ») de l’évolution du salaire horaire et de celle du coût horaire du travail sera ainsi publiée environ 45 jours après la fin du trimestre considéré, en mobilisant de manière anticipée les données issues de la DSN. Les résultats détaillés continueront d’être publiés environ 75 jours après la fin du trimestre considéré. Ainsi, les résultats du troisième trimestre 2023 feront l’objet d’une estimation flash publiée le 16 novembre 2023, puis les résultats détaillés seront publiés le 15 décembre 2023.
L’Insee avance également de près d’un mois la publication des indices de coût horaire du travail utilisés dans des clauses d’indexation.
L’Insee produit également un indice sectoriel destiné aux utilisateurs qui ont besoin d’indicateurs de coût horaire du travail dans une clause d’indexation (indice « ICHTrev-TS »). Dans cette optique, cet indice est obtenu en lissant et mensualisant les données de l’ICT et n’est habituellement pas révisable. À compter de décembre 2023, l’Insee réduit les délais de publication de l’ICHTrev-TS : cet indice sera désormais publié environ 75 jours après la fin du trimestre considéré, contre 100 jours actuellement. Ainsi, les résultats de l’ICHTrev-TS portant sur le troisième trimestre 2023 seront disponibles dès le 15 décembre 2023. ■
Pour en savoir plus
- Angel J.-W., 2023, « En balade avec l’Insee sur l’échelle des salaires », Blog de l’Insee, septembre
- Eurostat, 2023, Labour cost index – recent trends, Statistics Explained, septembre
- Hananel J., 2023, « Évolution des salaires de base dans le secteur privé : résultats provisoires du 2e trimestre 2023 », Dares indicateurs n° 46, août
- Insee, 2023, « Les salaires en 4 épisodes », septembre (a)
- Insee, 2023, « Au deuxième trimestre 2023, l’indice du coût du travail – salaires seuls augmente de 0,6 %, l’indice – salaires et charges de 0,7 % », Informations Rapides n° 232, septembre (b)
- Insee, 2023, Comptes nationaux trimestriels au deuxième trimestre 2023, Résultats détaillés (Séries de salaire moyen par tête disponibles dans l’onglet « Branches »), août
- Insee, 2023, Outil de datavisualisation sur les salaires, mise à jour de juillet
- Insee, 2023, « L’inflation reflue, la croissance hésite », Note de conjoncture, juin (a)
- Insee, 2023, Évolutions conjoncturelles du coût du travail et des salaires, in Emploi, chômage, revenus du travail, édition 2023, juin (b)
- Insee, 2023, L’essentiel sur… les salaires, juin (c)
- Pinel C., Darmaillacq C., 2022, « La revalorisation du Smic au 1er janvier 2022 – Une hausse marquée du nombre de bénéficiaires », Dares résultats n° 62, décembre
- Renne C., 2018, « Bien comprendre la déclaration sociale nominative pour mieux mesurer », in Courrier des statistiques n° 1, décembre
- Urssaf Caisse nationale, 2023, « La masse salariale et les effectifs salariés du secteur privé au deuxième trimestre 2023 », Stat’ur conjoncture n° 368, septembre
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