Pensez-vous avoir été victime de discrimination ? Ce que vous en dites dans les enquêtes de la statistique publique

Pensez-vous avoir été victime de discrimination ? Ce que vous en dites dans les enquêtes de la statistique publique

Dans les enquêtes de la statistique publique, les questions posées aux personnes sur les discriminations font en général appel à une forme de subjectivité : plutôt que de leur demander directement si elles ont été victimes de discrimination, on les interroge sur leur perception du phénomène. Cette mesure des discriminations (leur fréquence, mais aussi les motifs et circonstances et parfois les conséquences) issue d’enquêtes en complète d’autres, mobilisant des testings ou consistant à évaluer les inégalités de situation entre différents groupes de personnes.
L’objet et le contexte de l’enquête, de même que la place des questions et la façon de les poser, ont une incidence sur les réponses qu’y apportent les personnes interrogées et donc sur les résultats.
À l’occasion de la publication de « France, portrait social », ce billet fait le point. L’édition 2024 de l’ouvrage rassemble trois analyses des discriminations « vécues » ou « ressenties » à partir d’enquêtes récentes de la statistique publique : l’enquête Trajectoires et Origines 2019-2020 (TeO2) menée par l’Insee et l’Ined, l’enquête Autonomie de la Drees collectée en 2022, et l’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) de 2022 du service statistique ministériel de la sécurité intérieure.


La notion de discrimination devient d’un usage plus courant en France à la fin des années 1990. Le Haut Conseil à l’intégration publie en 1998 le rapport « Lutte contre les discriminations : faire respecter le principe d’égalité », la loi n°2001-1066 du 16 novembre 2001 sur les discriminations transpose deux directives européennes en 2000 sur les discriminations ethno-raciales et les discriminations multi-critères dans l’emploi, SOS racisme réalise des testings à l’entrée des boites de nuit de grandes villes en France.

L’enquête Histoire de vie réalisée en 2003 par l’Insee est la première enquête de la statistique publique à intégrer de façon détaillée ce sujet. La question posée ne mentionnait cependant pas le terme « discrimination »  : « Est-il déjà arrivé que l’on se moque de vous, que l’on vous mette à l’écart, que l’on vous traite de façon injuste ou que l’on vous refuse un droit à cause de … ». S’ensuivait l’énumération de 17 motifs possibles (âge, sexe, couleur de peau, patronyme,…), dérivés des critères de discrimination légaux de l’époque.

Aujourd’hui, plusieurs enquêtes de la statistique publique comprennent des questions sur les discriminations. La place accordée à ce thème varie néanmoins selon les enquêtes, de même que la façon dont la ou les questions sont posées, ce qui a une incidence sur les réponses qu’y apportent les personnes interrogées.

L’édition 2024 de l’ouvrage « France, portrait social » rassemble trois analyses des discriminations « vécues » ou « ressenties » à partir de trois enquêtes récentes de la statistique publique : l’enquête Trajectoires et Origines 2019-2020 (TeO2) menée par l’Insee et l’Ined (Rouhban et al., 2024), l’enquête Autonomie de la Drees de 2022 (Scott, 2024) et l’enquête Vécu et ressenti en matière de sécurité (VRS) de 2022 du service statistique ministériel de la sécurité intérieure (Bernardi et al., 2024). Sa parution est l’occasion de refaire le point sur les mesures de la discrimination.

Comment demander aux personnes si elles ont été discriminées ? Dans quelle mesure rapportent-elles une expérience associée à des situations concrètes ? Est-ce que la proportion de personnes concernées varie selon les enquêtes et si oui, pourquoi ?

Le questionnement sur les discriminations fait appel à la perception que les personnes en ont

La discrimination est un traitement défavorable fondé sur un motif prohibé par la loi (le sexe, l’âge, le handicap, l’origine, l’orientation sexuelle, l’adresse, etc.) et se produisant dans un domaine relevant de la loi : l’emploi (refus d’embauche, de promotion, écart de rémunération, etc.), l’éducation (refus d’un choix d’orientation par exemple), le logement (refus de louer un appartement), l’accès aux biens et services publics (refus de soins, d’un crédit, d’accéder à un musée, d’entrer dans une discothèque, etc.).

Il n’est pas toujours évident pour les personnes de savoir si elles ont été discriminées ou pas, d’autant que les comportements de discriminations reposent le plus souvent sur des préjugés diffus, qui ne sont pas exprimés explicitement. La présomption de discrimination peut aussi être plus aisée à détecter en cas d’expériences répétées de traitements défavorables.

C’est pourquoi, dans les enquêtes, les formulations font le plus souvent appel à une forme de subjectivité : plutôt que de demander directement aux personnes si elles ont été victimes de discrimination, on les interroge sur leur perception du phénomène : « Pensez-vous avoir subi des discriminations ? », « Selon vous, avez-vous été injustement traité ? », « Vous diriez que ». La mesure mélange de manière indissociable les expériences vécues et leur appréciation. Certains évoquent à son propos un « ressenti des discriminations », un « sentiment de discrimination », quand d’autres privilégient « des expériences auto-reportées de discriminations ».

La diffusion dans le débat public depuis 30 ans de la notion de « discrimination » permet d’employer plus facilement le terme dans les enquêtes statistiques. En contrepartie, la sensibilité des personnes aux questions discriminatoires et/ou à certains motifs de discrimination a pu s’accroître, les conduisant pour les mêmes expériences à les qualifier plus souvent de discriminatoires aujourd’hui que par le passé. Si le terme de « discrimination » est désormais souvent retenu dans les questions, les expressions telles que « traitements inégalitaires », « défavorables », « différenciés » ou « injustes » sont également utilisées en complément ou à la place. Les injures, moqueries, etc. ne sont plus mentionnées ; il ne s’agit en effet pas de discriminations.

La temporalité diffère d’une enquête à l’autre, les faits discriminatoires recensés pouvant remonter à un an, cinq ans, voire couvrir toute la vie des personnes.

Les enquêtes cherchent souvent à savoir pour quels motifs et dans quelles circonstances les personnes ont été discriminées :
 Beaucoup de questionnaires procèdent en plusieurs étapes en interrogeant les personnes sur leur vécu d’une expérience de discrimination, puis sur les motifs supposés, mais rarement de manière exhaustive (plus de 25 motifs prohibés par la loi à ce jour) ou en les regroupant ; elles comportent quasiment toujours une modalité « autre » (avec souvent une réponse en clair permettant d’écarter quelques réponses erronées). Les questions sur le lieu ou le domaine de la discrimination complètent parfois le questionnement. Les conséquences sur la vie des personnes et les actions qu’elles ont entreprises en réaction à cette expérience peuvent être également abordées.
 D’autres enquêtes se restreignent aux discriminations relevant de motifs précis (en incorporant ces motifs dès la question principale  : « Avez-vous été discriminés en raison de votre sexe ? De votre origine ? Etc. »), ou relevant d’un domaine précis : c’est le cas de l’enquête Emploi, qui adopte dans son module dédié en 2021 la question « Dans votre emploi actuel, pensez-vous avoir subi des traitements inégalitaires ou des discriminations ? » (Pénicaud, Remila, 2024).

Chacune des trois enquêtes faisant l’objet d’un éclairage dans l’ouvrage « France, Portrait Social » de 2024 procède différemment (figure 1).  Les enquêtes TeO2 et VRS adoptent toutes deux un questionnement par étapes, avec une question initiant le thème des discriminations puis des questions sur les motifs et les circonstances, mais elles différent quant à la question initiale (caractère subjectif, temporalité, termes employés, incorporation de tout ou partie des motifs dans la question). L’enquête Autonomie procède en une seule question subjective, centrée sur les discriminations en raison de l’état de santé, le handicap, l’avancée en âge, sans repère temporel et proposant les lieux de survenue comme modalités de réponse.

Figure 1 – Trois questionnements différents sur les expériences de discrimination

Trois questionnements différents sur les expériences de discrimination

Combien de personnes s’estiment discriminées, tous motifs confondus ?

Dans l’enquête TeO2 (2019-2020), 17 % des personnes âgées de 18 à 59 ans, déclarent avoir connu « souvent » ou « parfois » des traitements inégalitaires ou des discriminations au cours des cinq dernières années (figure 2).

Dans l’enquête VRS (2022), sur le même champ que celui de l’enquête TeO2, la fréquence des discriminations auto-reportées est moindre : 13 % des personnes déclarent avoir été victimes au moins une fois au cours de leur vie, quelle qu’en soit la date, de discriminations. Moins de 3 % déclarent en avoir subi en 2021 ; moins de 4 % déclarent en avoir subi sur une période récente un peu plus large : en 2020, en 2021 ou en 2022.

Figure 2 – Personnes âgées de 18 à 59 ans, déclarant avoir subi des discriminations, tous motifs confondus

Personnes âgées de 18 à 59 ans, déclarant avoir subi des discriminations, tous motifs confondus
Champ : France métropolitaine, personnes âgées de 18 à 59 ans vivant en logement ordinaire.

Un effet sans doute de la structure du questionnement et de l’objet des enquêtes

Le thème des discriminations est au cœur du questionnement de l’enquête TeO depuis sa première édition en 2008-2009 (Lesné, Simon, 2015). Les questions sur l’expérience générale de la discrimination – les discriminations dites auto-reportées – arrivent presqu’en toute fin de questionnaire, alors que les personnes ont déjà détaillé leurs parcours scolaires et professionnels, leurs trajectoires résidentielles, leur santé et le recours aux soins médicaux. Dans chacun de ces domaines, certaines situations concrètes que les personnes ont pu vivre ont déjà été abordées : par exemple le sentiment d’avoir été traité de façon différenciée par rapport aux autres élèves ou étudiants, de s’être vu refuser injustement une promotion, d’avoir eu des difficultés dans la recherche d’un emploi, de s’être vu refuser un logement sans raison valable, de s’être vu refuser une consultation médicale, etc. Ces mises en situation sont reliées à leurs motifs supposés (sexe, état de santé, origine, etc.). Ainsi, au moment de répondre à la question générale sur les traitements inégalitaires ou les discriminations auxquels elles ont pu être confrontées, les personnes ont été sensibilisées au sujet, ce qui induit probablement davantage de réponses positives .

VRS est une enquête annuelle dite de « victimation », qui vise à mesurer les faits de délinquance dont les individus ont pu être victimes de sorte à pouvoir suivre les évolutions de l’insécurité ressentie et les opinions vis-à-vis de l’action des forces de sécurité. Pour autant, l’enquête consacre un développement aux discriminations, en toute fin du questionnement sur les atteintes et juste avant le recueil des opinions et perceptions en matière de sécurité et des caractéristiques socio-démographiques les plus sensibles, dont certaines sont susceptibles d’être discriminantes (le handicap et la religion notamment comme dans TeO2, mais aussi l’orientation sexuelle). Les personnes ont alors déjà été interrogées sur les atteintes aux biens (logement, véhicule notamment) et les atteintes à leur personne : les violences physiques et sexuelles, le harcèlement moral, les menaces, les injures, etc. Les raisons supposées des atteintes sont également recueillies, selon les mêmes modalités que les motifs supposés des discriminations : cela permet de caractériser une partie de ces atteintes comme discriminatoires (Bernardi et al., 2024). Il est possible qu’après avoir énuméré ou décrit une série de faits dont certains sont particulièrement violents, les personnes considèrent les traitements défavorables abordés en dernière partie de questionnaire pour parler des discriminations comme moins graves en général, et ne rapportent que les plus graves d’entre eux, les autres leur semblant mineurs par rapport au reste.

Le contexte de l’enquête peut aussi avoir un rôle déterminant. Pour preuve, les ordres de grandeur sont similaires d’une édition à l’autre de ces enquêtes, dénotant une stabilité de la mesure. Dans l’enquête TeO, avec une question dont la formulation est restée inchangée, en 2008-2009, 14 % des personnes âgées de 18 à 49 ans avaient déclaré avoir subi des discriminations ; en 2019-2020, elles sont 18 % (Lê et al., 2022). Les enquêtes annuelles Cadre de vie et sécurité (CVS) interrogeaient également sur les comportements discriminatoires à l’égard des personnes enquêtées. Dans l’enquête CVS, 2 % des personnes âgées de 14 ans ou plus déclaraient en 2019 au moins un traitement défavorable à caractère discriminatoire au cours des deux années précédentes, en 2017 ou en 2018 (Prené, 2020). C’est 4 % dans VRS pour les 18 ans et plus en 2020, 2021 ou 2022.

L’impact sur la mesure des discriminations, de la formulation des questions comme de l’architecture du questionnaire, avait déjà été identifié sur des enquêtes menées dans les années 2000 (Bouvier, Jugnot, 2013), sans analyser toutefois l’effet de l’objet et du contexte de ces enquêtes, désormais possible avec la réédition de plusieurs d’entre elles.

Les mêmes motifs de discriminations sont souvent cités, mais pas toujours dans le même ordre

Dans les enquêtes TeO2 et VRS, le motif le plus souvent cité par les personnes s’estimant victimes de discrimination est leurs origines. Mais sa fréquence ainsi que la hiérarchie des principaux autres motifs de discrimination ne sont pas les mêmes. La formulation des questions, notamment de la question introduisant la thématique des discriminations, pourrait expliquer les écarts.

Dans TeO2, les trois principaux motifs de discrimination déclarés par les 18-59 ans en ayant subi au cours des 5 dernières années sont les origines au sens large (origine géographique ou nationalité dans 30 % des cas, couleur de peau dans 18 % des cas, au moins un des deux motifs dans 39 % des cas), le sexe (28 %) et l’âge (14 %, figure 3).

Dans VRS, les trois principaux motifs de discrimination déclarés par les 18-59 ans en ayant subi au moins une en 2021 sont les origines au sens large (origine géographique ou nationalité dans 48 % des cas, couleur de peau dans 28 % des cas), puis la religion (25 %) et le sexe (22 %). Dans VRS, le motif de la religion est donc très souvent cité, et l’état de santé ou le handicap le sont presque aussi souvent que l’âge, alors qu’ils le sont nettement moins dans TeO2.

À la différence de TeO2, VRS cite 6 motifs exemples de discrimination, soit dès la question initiale, soit dans la phrase introductive à la question (figure 1) ; s’ensuit, tout comme dans TeO2, une deuxième question sur une dizaine de motifs supposés pour les personnes s’estimant discriminées. Le fait que les origines, la religion, l’état de santé ou le handicap fassent partie des 6 motifs exemples peut expliquer qu’ils soient plus souvent choisis dans l’enquête VRS que dans l’enquête TeO2. Une autre explication pourrait être que l’enquête VRS s’intéresse au fait discriminatoire survenu le plus récemment, tandis que TeO2 couvre toutes les discriminations survenues au cours des cinq dernières années, avec potentiellement des motifs qui fluctuent ou se combinent différemment selon les expériences.

Figure 3 – Principaux motifs de discrimination pour les personnes en ayant déclaré

Champ de TeO2 : France métropolitaine, personnes âgées de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire, ayant déclaré avoir subi des discriminations au cours des 5 dernières années.
Les 12 motifs proposés pour les discriminations vécues au cours des 5 dernières années (plusieurs réponses possibles) : âge ; sexe ; état de santé ou handicap ; couleur de peau ; origines ou nationalité ; lieu de vie, réputation du quartier ; accent, façon de parler ; situation de famille ; orientation sexuelle ; religion ; façon de s’habiller ; poids. Les modalités « autre », « ne sait pas », « refus » étaient aussi proposées.
Champ de VRS : France métropolitaine, personnes âgées de 18 à 59 ans vivant dans un logement ordinaire, ayant déclaré avoir subi au moins une discrimination en 2021 ou 2022.
Les 11 motifs proposés pour la dernière discrimination vécue, qui peut avoir eu lieu en 2021 ou 2022 (plusieurs réponses possibles) : couleur de peau ; origines (ou origines supposées) ; religion (ou religion supposée) ; orientation ou identité (ou orientation sexuelle supposée) ; sexe ; classe d’âge ; quartier ou lieu de résidence ; handicap ou état de santé ; appartenance ou opinions syndicales ou politiques ; état de grossesse ; apparence physique/corporelle.

Et qu’en est-il des discriminations en raison de l’état de santé et du handicap ?

L’enquête Autonomie, qui fait l’objet du 3e éclairage dans l’édition 2024 de « France, portrait social », s’intéresse uniquement aux discriminations en raison de l’état de santé, du handicap ou de l’avancée en âge. Le questionnement sur les traitements injustes intervient en fin de questionnaire, après que les limitations, l’état de santé, les aménagements, la situation d’emploi des personnes, etc. ont été décrites. L’enquête Autonomie distingue clairement les traitements injustes – les discriminations – des maltraitances (Scott, 2024).

Dans l’enquête Autonomie, en 2022, 28 % des personnes âgées de 18 à 59 ans, handicapées au sens du Global Activity Limitation Indicator (Gali), et vivant à domicile, déclarent avoir subi des traitements inégalitaires ou injustes dans un lieu donné, en lien avec leur santé, leur handicap ou leur avancée en âge (figure 4). Dans l’enquête TeO2, elles sont nettement moins nombreuses, 11 %, aux motifs de l’état de santé et du handicap et sur une période de temps plus limitée (les 5 dernières années). Dans l’enquête VRS, 3 % des personnes handicapées se déclarent victimes de discrimination en 2021 (période encore plus restreinte), en raison de leur handicap ou leur état de santé.

Vu le sujet de l’enquête Autonomie, les personnes handicapées pourraient-elles être beaucoup plus sensibilisées que dans d’autres types d’enquêtes à leur situation et à ses implications, dont de potentielles discriminations ?

Dans l’enquête Handicap-Santé de 2008, dont le questionnaire avait une architecture analogue à l’enquête Autonomie, la proportion de personnes handicapées s’estimant victimes de discrimination en raison de leur handicap est d’un ordre de grandeur relativement proche, même si la comparaison est délicate (formulation des questions différente, champ plus large que les discriminations incluant moqueries, mises à l’écart).

Figure 4 – Personnes handicapées (au sens du Gali), âgées de 18 à 59 ans déclarant avoir subi des discriminations, selon les motifs

Champ : France métropolitaine, personnes handicapées su sens du GALI, âgées de 18 à 59 ans, vivant en logement ordinaire.

En guise de conclusion

Dans ce domaine des discriminations, comme dans d’autres, la statistique publique prend en compte le « ressenti » des personnes (voir billet de blog récent sur le sujet, Tavernier, 2024). Comme pour d’autres sujets, il peut exister un décalage entre le « ressenti » et la mesure « objective ». S’agissant des discriminations, il n’y a cependant pas de mesure « objective » en tant que telle. Des évaluations indirectes des discriminations potentielles sont en revanche réalisées, par la mesure des inégalités objectives de situation entre différents groupes de personnes, dont certains sont identifiés comme à risque d’être discriminés. Les inégalités de situation qui persistent, une fois prises en compte les caractéristiques de ces personnes (qui constituent des facteurs potentiels d’explication des différences observées), peuvent trouver leur origine dans des comportements de discrimination à l’égard d’un groupe, sans que cela puisse en général être démontré directement (Delattre et al., 2013). Les testings sont une autre façon de mesurer les discriminations, mis en œuvre le plus souvent par le monde de la recherche. Les données administratives relatives aux plaintes déposées constituent aussi une source d’information sur les discriminations, dépendante cependant de la propension des personnes confrontées à des discriminations à entamer des démarches (Lê et al., 2022). Enfin, s’agissant de l’appréciation des personnes sur le vécu de discriminations, il ne faut pas non plus oublier, aux côtés des enquêtes, l’existence de recueils spontanés via des plateformes d’écoute, notamment celle mise en place par la Défenseure des droits début 2021. Elle permet de déboucher sur des saisines de l’institution, mais vient aussi compléter les nombreuses analyses des discriminations qui y sont menées.

Une analyse récente montre par exemple une corrélation forte entre trois mesures des discriminations subies par les personnes d’origine maghrébine sur le marché du travail : une mesure « subjective » au travers d’enquêtes, comme analysée dans ce billet ; une mesure à partir des écarts inexpliqués de taux de chômage de cette population par rapport aux personnes sans ascendance migratoire ; une mesure à partir d’un testing à l’embauche (Arnoult, 2023). D’autres travaux ont également montré des liens étroits entre les « discriminations ressenties » et des mesures plus objectivées, par les discriminations situationnelles (Safi, Simon, 2013).

La multiplicité des approches permet de consolider peu à peu tout un corpus de connaissances sur les discriminations, leur ampleur, le profil des personnes concernées, les domaines où elles s’exercent. Dans le champ des expériences de discrimination telles que rapportées dans les enquêtes, qui fait l’objet de ce billet, force est de constater que leur mesure peut varier selon les enquêtes. Si le contexte propre à chaque enquête peut jouer, le type de questionnement sur le « sentiment de discrimination » mériterait d’être davantage harmonisé pour des comparaisons plus pertinentes. Conserver une comparabilité dans le temps des modes de questionnement pour les enquêtes répétées est cependant aussi nécessaire, pour permettre un suivi dans le temps, désormais possible avec la réédition de certaines enquêtes. Un groupe de travail du Conseil national de l’information statistique (Cnis) réfléchit à des pistes, parmi d’autres recommandations d’amélioration de la mesure des discriminations par la statistique publique.

Pour en savoir plus

Crédits photo : © Andrey Popov – stock.adobe.com

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