Tourisme : quand recherches Google et avis Airbnb viennent à la rescousse du statisticien

Tourisme : quand recherches Google et avis Airbnb viennent à la rescousse du statisticien

Capitale pour la France, l’activité touristique est portée à la fois par la clientèle nationale et la clientèle internationale. Cette activité s’est arrêtée net lors du premier confinement en mars 2020, puis a subi de fortes fluctuations au gré des restrictions de déplacement. Pour le secteur touristique comme pour d’autres, la statistique publique a fait évoluer et a enrichi ses outils pour être en mesure de suivre l’activité pendant cette période. Les données de TVA et celles sur les salariés ont permis d’évaluer la reprise de l’activité dans les établissements au printemps 2020. Mais, pour suivre l’activité touristique au plus près, l’Insee travaille désormais sur des données privées, qu’il s’agisse des paiements par carte bancaire, des commentaires sur les plateformes de réservation de nuitées ou encore des recherches internet.

La crise sanitaire a bouleversé les activités touristiques en France. Ce billet de blog présente le dispositif d’observation statistique du tourisme, ce qu’il a permis de constater depuis la période d’avant crise sanitaire jusqu’à aujourd’hui et comment il s’est adapté et enrichi pour affiner l’observation conjoncturelle du tourisme.

Un constat général ressort : la clientèle nationale, ou résidente, très importante en France, a permis d’amortir le choc de baisse d’activité du tourisme, contrairement à ce qui a pu se passer dans des pays davantage dépendants de la clientèle internationale.

Mesurer le tourisme en France

L’organisation mondiale du tourisme définit celui-ci comme « un phénomène social, culturel et économique résultant du déplacement des personnes passant au moins une nuit en dehors de leur environnement habituel ». En France, historiquement, trois dispositifs statistiques permettent de mesurer l’activité touristique :

  • L’offre d’hébergement et la fréquentation touristique des hôtels, campings et autres hébergements collectifs est mesurée chaque mois depuis 30 ans par l’enquête de fréquentation touristique (EFT), de l’Insee ;
  • Les déplacements et les dépenses touristiques des « résidents », c’est-à-dire les personnes qui vivent en France, que ceux-ci aient lieu en France ou à l’étranger, sont mesurés par l’enquête de suivi de la demande touristique (SDT), réalisée chaque mois par l’Insee depuis 2020 ; les données portant sur 2019 ont été récoltées et exploitées par l’Insee afin de disposer de statistiques de référence avant la crise sanitaire ;
  • La fréquentation et les dépenses des touristes étrangers, dits « non-résidents », en France, est suivie par l’enquête auprès des visiteurs étrangers (EVE), réalisée chaque mois par la Banque de France depuis 2020.

Les deux premiers dispositifs répondent au règlement européen sur les statistiques du tourisme, qui permet de disposer de données comparables pour tous les pays de l’Union européenne.
En s’appuyant sur les résultats de ces trois enquêtes (EFT, SDT et EVE), enrichis d’autres sources comme la balance des paiements de la Banque de France, l’Insee produit le compte satellite du tourisme qui mesure toutes les dépenses touristiques en France.

Ce dispositif, sur lequel repose la mesure de l’activité touristique, a évolué et s’est enrichi pendant la crise sanitaire.

Avant la crise sanitaire, un tourisme porté à la fois par la clientèle nationale et internationale

Avant la crise sanitaire et durant toute la décennie 2010, la clientèle internationale en France était l’une des plus importantes au monde en termes de fréquentation (DGE, 2018). Celle-ci provenait en premier lieu du Royaume-Uni, des États-Unis et d’Allemagne.

Cette première place en termes de fréquentation des touristes internationaux n’empêchait pas la clientèle nationale, qualifiée de « résidente », d’être majoritaire en France avant la crise en nombre de nuitées. Ces touristes nationaux passaient toutefois la majorité des nuitées en résidence secondaire, en famille ou chez des amis, c’est-à-dire en hébergement « non-marchand », pour un motif personnel (vacances, loisirs, séjours culturel, etc.) et non professionnel.

Pour répondre à la demande de clientèles touristiques très différentes, tous les types d’hébergements marchands se sont développés en France : hôtels, campings, résidences de tourisme, villages de vacances, auberges de jeunesse et locations de particuliers. L’hôtellerie de plein air (campings) française est ainsi la plus développée d’Europe, représentant avant la crise environ 30 % des nuitées en camping de l’Union européenne.

Par ailleurs, la France concentrait 20 % des locations de particuliers de l’Union européenne via les plateformes en ligne en 2019, juste derrière l’Espagne, selon des travaux d’Eurostat en lien avec quatre plateformes internationales

Un effondrement de la fréquentation avec la crise sanitaire, concernant surtout la clientèle internationale

La crise sanitaire a très fortement affecté l’économie du tourisme. Le premier confinement en mars 2020 s’est traduit par un effondrement de l’activité touristique, avec la disparition des touristes internationaux et une baisse inédite de 94 % de l’activité touristique des personnes habitant en France, entre avril 2019 et avril 2020.

Après une timide remontée de fréquentation à la sortie du premier confinement, l’été 2020 a été marqué par le retour des touristes résidents, surtout en résidence secondaire, en famille ou chez des amis, et plutôt à proximité de chez eux. Les dépenses touristiques ont retrouvé leur niveau de l’été 2019 : la fréquentation des résidents a été soutenue en juillet et en août dans les hôtels, ainsi que dans les campings. Cette reprise estivale du tourisme a été néanmoins de courte durée, avec à nouveau une dégradation de fréquentation en septembre 2020 et un effondrement à partir du 2e confinement de novembre. Au 4e trimestre 2020 et au 1er trimestre 2021, la fréquentation hôtelière se situait en moyenne au tiers de son niveau habituel.

La crise n’a pas seulement perturbé l’activité, elle a également entravé le recueil habituel de l’information statistique auprès des acteurs, qui se trouvaient pour nombre d’entre eux fermés et donc incapables de répondre aux enquêtes. L’Insee a alors mis en place un protocole de collecte allégé, afin de tenir compte des difficultés des entreprises du secteur : le questionnaire a été réduit au strict minimum, en supprimant notamment la question du pays de provenance des touristes et certains types d’hébergement n’ont plus été interrogés aux périodes les plus contraintes : campings, résidences de tourisme, villages vacances. Pour repérer les établissements fermés parmi les hébergements ne répondant pas à l’enquête allégée, l’Insee a recouru à des sources complémentaires, telles que les déclarations de TVA ou les données sur les salariés, issues des déclarations sociales nominatives. Elles ont permis d’estimer si ces établissements poursuivaient leur activité ou s’ils étaient temporairement fermés et de rendre compte de façon fiable de l’effondrement de la fréquentation.

Un été 2021 proche du niveau de l’été 2019

Avec la levée des restrictions de déplacement en mai 2021, l’Insee a arrêté le protocole statistique allégé et remis en marche le dispositif complet d’enquête de fréquentation touristique, autorisant des résultats plus détaillés, notamment par pays de provenance des touristes.

La fréquentation hôtelière a augmenté au 2ᵉ trimestre 2021, tout en restant largement inférieure à son niveau d’avant-crise. Puis, à l’été, elle s’est progressivement rapprochée de son niveau de l’été 2019, historiquement haut. De même, la fréquentation dans les campings et autres hébergements collectifs de tourisme est quasiment revenue à son niveau de l’été 2019. Ainsi, en mai 2021, la fréquentation de l’ensemble des hébergements collectifs de tourisme n’était qu’à la moitié de son niveau de mai 2019, mais en août 2021 elle revenait à 93 % de celle d’août 2019. Cette reprise d’activité a reposé sur la clientèle résidente. En revanche, les deux principales clientèles internationales, du Royaume-Uni et des États-Unis, sont très peu revenues (figure 1).

Figure 1 – Nombre de nuitées hôtelières en juillet 2019, 2020 et 2021 par pays de provenance des touristes

Nombre de nuitées hôtelières en juillet 2019, 2020 et 2021 par pays de provenance des touristes
Source : Insee, enquête de fréquentation touristique.

De nouvelles difficultés à l’automne 2021

Au-delà des enquêtes, les indices de chiffre d’affaires de l’Insee permettent de caractériser l’activité, de façon rapide : de juillet à octobre 2021, l’indice de chiffre d’affaires dans l’hôtellerie a retrouvé un niveau proche de 2019 .

Par ailleurs, la crise sanitaire ayant bousculé les dispositifs de collecte habituels, dont l’EFT, et dans le même temps accru le besoin d’une information rapide, l’Insee a fortement investi dans l’utilisation des données privées (privately held data – PHD). Ces données n’ayant pas la même finalité ou le même champ que les données issues des enquêtes sur le tourisme, elles ne sont pas directement comparables avec ces dernières. Elles sont avant tout étudiées en évolution et interprétées avec prudence.

Ainsi, pendant les confinements, l’Insee a expérimenté l’utilisation de données de téléphonie mobile, permettant d’apporter un regard sur la population présente. Mais ces informations se sont avérées insuffisamment détaillées pour mesurer les nuitées touristiques. En conséquence, l’Insee n’a pas diffusé de résultat pour ce secteur. En revanche, l’Insee a exploité trois autres types de données privées à des fins d’analyse conjoncturelle du tourisme :

  • Les dépenses touristiques des résidents réglées par carte bancaire CB au cœur de l’été 2021 sont nettement supérieures à leur niveau mesuré en 2019 dans la plupart des départements, en particulier dans la moitié sud du pays ;
  • Les informations sur les séjours touristiques réservés via la plateforme en ligne Airbnb sont mobilisables, notamment par l’intermédiaire des données mises à disposition par Inside Airbnb. Elles permettent de suivre le nombre de commentaires déposés par les utilisateurs et de comparer la situation de grandes villes touristiques telles que Paris, Madrid, Rome, Londres ou New-York par exemple (figure 2). À cette aune, la situation de Paris semble meilleure que celle de Londres ou Madrid cet été, avant la baisse d’octobre 2021, mais moins bonne que celle de New-York, pour laquelle le nombre de commentaires a même dépassé le niveau de 2019 ;

Figure 2 – Nombre de commentaires déposés sur Airbnb après un séjour effectué à Paris, Rome, Madrid, Londres ou New-York

Nombre de commentaires déposés sur Airbnb après un séjour effectué à Paris, Rome, Mardid, Londres ou New-York
Source : Inside Airbnb, calculs Insee, base 100 en 2019 pour chaque ville.
  • Les statistiques de recherches internet sur le moteur de recherche Google, mises à disposition par l’entreprise sur Google Trends, permettent également de rendre compte de grandes tendances et de comparer les pays. Ainsi, les recherches autour du mot « hôtel » ont rapidement retrouvé leur niveau d’avant-crise aux États-Unis, dès 2020, alors que la remontée a été plus lente en Europe, où le nombre de recherches d’avant-crise a été retrouvé à l’été 2021 (figure 3).
    L’écart creusé entre les États-Unis et l’Europe perdure depuis 2020, y compris dans la période actuelle, caractérisée par une baisse régulière du nombre de recherches d’hôtel.
    Cette baisse depuis octobre semble un peu moins forte en France qu’en Espagne, en Italie ou qu’au Royaume-Uni.
    Les restrictions de déplacements internationaux et internes à chaque pays expliquent probablement une partie des écarts.
    Un autre facteur a pu contribuer à creuser les écarts entre pays : l’importance de la clientèle nationale relativement à la clientèle internationale. Les voyages touristiques des résidents sont environ dix fois plus nombreux aux États-Unis qu’en France (respectivement 2 milliards et 200 millions chaque année sur la période 2017-2019),tandis que les nuitées passées par la clientèle internationale sont du même ordre de grandeur entre les deux pays. Dès lors, les restrictions de déplacement entre les États-Unis et l’Europe ont pu conduire un certain nombre de touristes américains à renoncer à voyager en Europe au profit d’un tourisme local. L’importance de la clientèle résidente des États-Unis a donc peut-être contribué à amortir le choc de la crise en relançant plus rapidement le tourisme local.

Figure 3 – Fréquence de recherche du mot hôtel sur Google

Fréquence de recherche du mot hôtel sur Google
Données quotidiennes de 2020 à aujourd’hui en moyenne mobile sur 7 jours par rapport à la moyenne 2017-2019.
Source : Google Trends, calculs Insee.

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