En 2025 le questionnaire du recensement évolue et ce n’est pas si fréquent
Cette année, trois nouvelles questions sont ajoutées au bulletin individuel du recensement de la population. Celles-ci portent sur la pratique du télétravail, les limitations d’activité dans la vie quotidienne et le lieu de naissance des parents. Elles permettront de répondre à des besoins d’information largement exprimés. Une telle évolution est peu fréquente. Elle est rendue possible par le passage à la nouvelle nomenclature des professions qui permet de réduire le nombre de questions. Cette évolution est le fruit d’un long processus de concertation et de validation qui permet de garantir l’utilité des questions posées et leur légitimité dans une enquête d’une telle ampleur.
Chaque année, en janvier, 9 millions d’habitants sont sollicités pour répondre au recensement de la population. Menée en partenariat entre l’Insee et les communes, cette opération permet de dénombrer la population, mais aussi de connaître ses caractéristiques et ses conditions de logement, y compris à un niveau territorial fin (Barlet et Lefebvre, 2024). Les habitants sont ainsi invités à répondre à un questionnaire se décomposant en trois parties : des questions sur le logement, des questions sur la composition du ménage qui l’habite, ainsi qu’un questionnaire individuel pour chacun des occupants. Cette structuration du questionnaire est très ancienne puisqu’elle date de 1954, année où les questions sur le logement ont été systématisées. Certaines informations, comme le sexe, sont demandées depuis la mise en place des recensements modernes en 1801, tandis que d’autres sont apparues au fil du temps, comme la profession en 1820, le lieu de naissance en 1876 ou le mode de transport pour aller travailler en 1999. Certaines questions évoluent, comme l’âge qui était demandé en années jusqu’en 1901, date à laquelle il a été remplacé par la date de naissance.
Les modifications du questionnaire du recensement de la population sont donc rares, mais pas inexistantes. Car il faut à la fois mesurer des évolutions, mais aussi s’adapter aux transformations de la société. Cela implique de trouver un juste équilibre entre, d’une part, le maintien des questions posées les années antérieures afin de produire des informations comparables à intervalles réguliers et, d’autre part, l’ajout de nouvelles thématiques pour couvrir de nouvelles réalités ou de nouveaux besoins des nombreux utilisateurs de données locales, le tout sans augmenter la durée de réponse, donc à nombre de questions équivalent.
Faire évoluer le questionnaire : entre recommandations internationales, concertation nationale et besoins de continuité… sans oublier la facilité de répondre
En pratique, les évolutions du questionnaire du recensement sont décidées à l’issue d’un processus complet de concertation et de validation. L’élément déclencheur de ces évolutions émane soit d’instances internationales, soit d’un processus national de concertation. Au niveau international, l’Organisation des Nations Unies (ONU) émet régulièrement des recommandations sur les variables devant être collectées lors d’un recensement, afin d’assurer une bonne coordination entre les pays et de disposer de données comparables pour chacun d’eux. Le recensement français s’intègre globalement dans ces recommandations, les variables considérées comme essentielles par l’ONU étant bien collectées. Seules quelques exceptions sont faites pour des informations dont l’intérêt est considéré comme limité pour notre territoire. Par exemple il n’y a pas de questions sur le nombre d’enfants nés vivants, ces statistiques étant construites, en France, à partir des données d’état civil. Les opérations de recensement font également l’objet de règlements européens qui ont permis de collecter des données comparables sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne pour les années 2011 et 2021 (Eurostat, 2022). Afin de satisfaire à ces exigences européennes, la question sur le lieu de résidence antérieur, qui permet d’étudier les déménagements, a ainsi été modifiée en 2011. Depuis cette date, c’est le lieu de résidence 1 an et non plus 5 ans auparavant qui est demandé.
Au niveau national, les demandes d’évolutions des utilisateurs des données du recensement s’expriment, comme pour les autres statistiques publiques, principalement au Conseil national de l’information statistique (Cnis), l’instance qui assure la concertation entre les producteurs et les utilisateurs de la statistique publique (élus nationaux et locaux, syndicats, associations, organismes publics, chercheurs…). En 2012, un groupe de travail du Cnis s’est penché sur le contenu du questionnaire du recensement. Le rapport n° 130 « Évolution du questionnaire du recensement de la population », qui en est issu, faisait état de 18 propositions d’évolutions relatives au questionnaire individuel ou à celui sur le logement. À ce jour, seules quatre propositions ont été mises en œuvre : distinction, parmi les personnes qui vivent en couple, de celles qui sont unies par un Pacte civil de solidarité (Pacs) ; collecte des liens familiaux qui unissent tous les membres du ménage deux à deux (et non plus uniquement vis-à-vis de la personne de référence) ; isolement de la modalité « Vélo » comme mode de transport domicile-travail ; révision de la nomenclature des diplômes pour tenir compte de l’évolution de l’enseignement supérieur et des contraintes d’harmonisation internationale. En effet, le recensement doit rester une opération simple pour obtenir une bonne adhésion des habitants. Il est donc primordial de ne pas allonger le temps nécessaire pour y répondre. Aussi toute nouvelle question doit être gagée par la suppression d’une question devenue moins pertinente.
En 2020, en prévision du passage à la nouvelle nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles (la PCS2020), plus facile à coder donc nécessitant moins de questions, l’Insee a pu rouvrir le dialogue sur l’introduction de nouvelles questions. Il a donc réexaminé les propositions du rapport de 2012 non satisfaites à ce stade afin d’identifier si elles étaient toujours d’actualité, tout en recueillant d’éventuelles demandes nouvelles. Un premier échange a été organisé lors d’un séminaire du Cnis, consacré aux questionnaires et à la diffusion du recensement, en octobre 2020 ; il a été approfondi par des consultations complémentaires auprès de services statistiques des ministères, de l’Institut national d’études démographiques (Ined) et de la Défenseure des Droits.
A la suite de ces concertations, en juillet 2021, l’Insee a proposé un nouveau questionnaire pour le bulletin individuel. La plupart des modifications sont liées au changement de nomenclature pour les PCS, le passage à la PCS2020 permettant d’alléger les questions sur l’emploi. La place ainsi libérée a permis d’étudier l’ajout de trois nouvelles questions. Au regard des réflexions et consultations menées en 2020 et 2021, ont été retenues pour ce projet de questionnaire : une nouvelle question sur le télétravail, l’indicateur global de limitation d’activité, dit « GALI » (Aubert, 2021 ; Ourliac, 2024) et une question sur le lieu de naissance des parents.
Voici les nouvelles questions telles qu’elles se présentent sur le questionnaire internet :
Et sur le questionnaire papier :
De nouvelles questions, pour quoi faire ?
La question sur la pratique et la fréquence du télétravail vise à donner un éclairage, à un niveau géographique fin ou sur des groupes sociaux particuliers, sur cette pratique très fortement dynamisée par la crise sanitaire. Dans un questionnaire qui renseigne par ailleurs sur le lieu de travail, le moyen de transport pour aller travailler, la profession et l’activité, disposer d’une telle information permettra d’affiner les diagnostics territoriaux pour les décideurs et aménageurs locaux, sur les besoins en infrastructures de transport, au vu des modifications que cette pratique induit sur les déplacements domicile-travail, ou en matière d’équipements et d’accessibilité, par exemple à du haut débit ou à des espaces de coworking. En effet, l’apport principal du recensement par rapport à d’autres types d’enquêtes qui sont réalisées sur des effectifs plus limités est qu’il permet d’étudier des phénomènes sur des zones géographiques précises ou sur des populations peu nombreuses.
La question sur les limitations dans les activités est déjà présente dans plusieurs enquêtes, comme l’enquête Emploi ; il s’agit d’une des trois questions du mini-module européen sur la santé, utilisé dans différentes enquêtes sociales harmonisées au niveau européen. Toutefois, la statistique publique reste régulièrement interpellée sur un défaut de statistiques sur le handicap et l’autonomie. Avec cette nouvelle question dans le recensement de la population, les acteurs locaux en charge de ces politiques (conseils départementaux et communes au premier chef) pourront disposer d’informations précises quant aux besoins sur leurs territoires, par exemple pour définir l’offre d’hébergement ou l’offre de services à domicile pour les personnes handicapées ou dépendantes. Au niveau international, en cohérence avec des besoins portés dans le cadre de la mise en œuvre de la
, les recommandations de l’ONU sur les recensements de la population classifient la variable permettant de déterminer le statut vis-à-vis du handicap comme une variable essentielle.De son côté, l’introduction de la question sur le lieu de naissance des parents permettra de rendre compte de la diversité de la population et de documenter les questions de mobilités résidentielles entre générations et de ségrégation spatiale. Posée à tous, indépendamment des origines, elle consiste à collecter l’information sur le lieu de naissance des deux parents, au niveau du département en cas de naissance en France, ou au niveau du pays pour les naissances à l’étranger.
Le lieu de naissance des parents est présent dans de nombreuses enquêtes auprès des ménages, récurrentes comme l’enquête Emploi ou l’enquête sur les ressources et conditions de vie (SRCV), ou bien plus ponctuelles et plus axées sur les questions de diversité des populations comme Trajectoires et origines (TeO) (Le Minez, 2020). Mais les effectifs enquêtés ne permettent pas de disposer de données annuelles par origine détaillée, ni d’information localisée comme le permettra le recensement.
Cette nouvelle question permettra ainsi, mais pas uniquement, de mieux connaître la situation des descendants d’immigrés, et de mieux analyser les inégalités de situation et les discriminations qui se prolongent au-delà de la première génération. Même si on ne « colle » pas parfaitement à la définition (un descendant d’immigré est une personne dont au moins un des parents est né de nationalité étrangère à l’étranger, or la nationalité à la naissance des parents ne sera pas demandée), cela donne une image suffisamment fidèle de la population des descendants d’immigrés, surtout pour les enfants de deux parents immigrés, qui constituent la population la plus exposée aux discriminations. Cela correspond également aux pratiques de la plupart des pays quant au recueil des origines géographiques, c’est-à-dire en s’appuyant sur le lieu de naissance des personnes et de leurs parents et pas toujours sur la nationalité à la naissance.
Le recueil de cette information dans une très large enquête comme l’enquête annuelle de recensement, en bénéficiant des autres variables (diplôme, catégorie sociale, âge, etc.) du questionnaire, permettra d’étudier sur deux générations la ségrégation sociale et résidentielle, les inégalités de situation et les discriminations éventuelles (comme une surexposition au chômage par exemple) par origine détaillée et au niveau local, ce que ne permettent pas les autres enquêtes. Ces résultats alimenteront, grâce à des diagnostics territoriaux, les politiques locales de cohésion sociale ou d’égalité des chances.
La question des origines géographiques concerne également des personnes dont les parents sont nés en France. Beaucoup de personnes sont attachées à une région en particulier, qui n’est pas obligatoirement leur région de résidence. Cette nouvelle question permettra par exemple de relier les migrations infra-nationales avec les origines : reste-t-on dans sa région d’origine ? Y retourne-t-on et quand ?
Outre leur intérêt propre, ces informations sur des espaces géographiques fins issues du recensement permettront de disposer d’indicateurs de contexte plus précis qu’actuellement et ainsi de progresser dans l’analyse des inégalités menées à partir d’autres sources ; en effet, les inégalités spatiales ont des répercussions sur d’autres inégalités (dans l’éducation, le logement, sur le marché du travail, etc.).
Des propositions d’ajouts au questionnaire final : concertation, tests, examen par la Cnil et le Conseil d’État
Ce projet de nouveau questionnaire a été présenté au Cnis, plus précisément à sa commission démographie et questions sociales, et à la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population, et fait l’objet d’un test fin 2021.
Des échanges approfondis ont été menés au sein du Cnis. Y ont participé des organismes publics, des chercheurs, des associations, syndicats, représentants d’élus. Si l’introduction des questions sur le télétravail et le handicap a fait consensus, l’ajout du lieu de naissance des parents a fait davantage débat. Une partie des participants aux échanges ont notamment indiqué que, si l’information était importante, le fait de l’introduire dans le recensement, opération de grande ampleur et pouvant être perçue comme une opération administrative autant que statistique, était contestable, et ont fait part de leurs craintes d’un mauvais usage de ces données et indiqué qu’à leurs yeux ce risque ne devait pas être pris.
La position majoritaire était toutefois en faveur de cet ajout, considérant qu’il était nécessaire que l’information puisse être mobilisée à un niveau fin, donc à travers le recensement, et insistant sur la nature et la finalité statistique de ce dernier. Les enquêtes de recensement, même si elles sont de grande ampleur, ne peuvent être utilisées qu’à des fins d’établissement de statistiques et d’études, et en aucune façon pour fonder des décisions individuelles. L’identité (les noms et prénoms) des personnes recensées n’est d’ailleurs pas conservée, seules sont conservées leurs caractéristiques déclarées au travers de leurs réponses au recensement (sexe, date de naissance, diplôme, profession, etc.). Les données collectées sont protégées par des dispositions techniques (un système d’information hautement sécurisé), juridiques (loi de 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques, loi informatique et libertés de 1978) et l’ensemble des acteurs du recensement, de l’agent recenseur à l’agent en charge de la diffusion, est soumis au secret professionnel et passible de sanction en cas de non-respect. Ainsi, les origines des personnes recensées, comme les autres données recueillies au travers du questionnaire, ne sont pas conservées nominativement et les données du recensement ne permettent pas de les suivre nominativement sur plusieurs générations.
Une autre dimension du problème était à analyser : quel accueil serait réservé à ces questions ? Les questions sur le handicap ou le lieu de naissance des parents peuvent être considérées comme plus personnelles, plus subjectives ou plus « difficiles », en ce sens que les personnes n’ont pas forcément la réponse, que les questions posées jusqu’à présent dans le recensement. Le test du questionnaire a toutefois montré que ce ressenti ou ces difficultés restaient peu fréquents : seules 4 à 5 % des personnes interrogées ont trouvé ces questions trop personnelles et lorsque les répondants ont déclaré avoir été gênés par la question sur le lieu de naissance des parents, c’est principalement parce qu’ils ne savaient pas où étai(en)t né(s) leur(s) parent(s).
Étant donnés d’une part le haut niveau de confidentialité assuré pour les données traitées dans le cadre du recensement de la population, d’autre part le fort intérêt de ces questions pour les politiques publiques locales et l’étude des inégalités et discriminations, et enfin les résultats des tests, l’ensemble des instances consultées ont in fine considéré que ces ajouts étaient légitimes. Pour la première fois, ces deux questions (sur le handicap et le lieu de naissance des parents) ont cependant le statut de « questions facultatives » afin de permettre aux personnes qui ne sauraient pas y répondre (cas rencontrés à plusieurs reprises lors des tests) ou qui ne souhaiteraient pas y répondre, de pouvoir poursuivre le remplissage du questionnaire, la réponse au recensement étant par ailleurs obligatoire. Par ailleurs, les mailles de diffusion des résultats de ces variables seront moins fines que pour les autres variables (5 000 habitants minimum contre 2 000).
Le décret d’organisation du recensement (décret en Conseil d’État n° 2003-485 du 5 juin 2003 relatif au recensement de la population, après avis de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil)) dressant la liste des thèmes abordés dans les questionnaires, il était nécessaire de le modifier au vu de l’introduction de la question sur le Gali et de celle sur le lieu de naissance des parents.
La Cnil a donc été consultée sur le projet de décret, certaines organisations lui avaient d’ailleurs transmis leurs réserves ; elle a rendu un avis favorable, au vu notamment de l’apport de ces questions à la connaissance et du résultat des tests que l’Insee avait menés. Elle a approuvé le caractère facultatif de ces questions ainsi que les règles de diffusion des résultats statistiques qui en sont tirés.
À la suite de l’avis favorable donné également par le Conseil d’État, les textes juridiques modifiant respectivement le décret d’organisation du recensement, pour y inscrire notamment l’ajout de ces nouvelles thématiques, et l’arrêté fixant les règles de diffusion, ont été publiés au Journal officiel des 30 et 31 mars 2024.
Place à la collecte …
L’enquête annuelle de recensement 2025 intègre donc ces nouvelles questions ; les agents recenseurs ont reçu lors de leur formation les informations nécessaires pour répondre aux questions des habitants ; des explications sont également accessibles sur les questionnaires par internet.
Les premiers résultats relatifs à ces nouvelles questions devraient être disponibles à l’été 2026 pour des informations de niveau national et régional, pour lesquels une seule enquête de recensement suffit. Pour les informations plus localisées, cinq enquêtes sont nécessaires, ce qui nous mène à mi-2030. ■
Pour en savoir plus
- Ourliac B., 2024, « Vivre vieux, vivre mieux : que dit l’espérance de vie sans incapacité ? », Blog de l’Insee, décembre
- Le Minez S. et Raynaud E., 2024, « Pensez-vous avoir été victime de discrimination ? Ce que vous en dites dans les enquêtes de la statistique publique », Blog de l’Insee, novembre
- Barlet M. et Lefebvre O., 2024, « Le recensement annuel fête ses 20 ans ! », Blog de l’Insee, janvier.
- Eurostat, 2022, « The 2021 population and housing censuses in the EU », janvier.
- Aubert P., 2021, « Handicap et autonomie : des enjeux d’inclusion… y compris dans les statistiques », Blog de l’Insee, février
- Le Minez S., 2020, « Oui, la statistique publique produit des statistiques ethniques ! Panorama d’une pratique ancienne, encadrée et évolutive », Blog de l’Insee, juillet
- Site le recensement et moi
- Liens vers décret de 2003 modifié et délibération Cnil : décret, avis de la CNIL, arrêté modifiant les règles de diffusion
- Cnis, site de la Commission nationale d’évaluation du recensement de la population
- Cnis, site de la Commission démographie et questions sociales : 1ère réunion de 2022, 2ème réunion de 2021
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