Pourquoi le chômage n’a-t-il pas augmenté avec la crise en 2020 ?

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Vladimir Passeron, Insee

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Fin 2020, le taux de chômage en France (hors Mayotte) s’est établi à 8,0 %. Soit quasiment son niveau d’avant-crise un an auparavant, lequel était le plus bas depuis fin 2008. En pleine crise sanitaire et économique, comment expliquer que le chômage n’ait pas augmenté  ? Comment l’Insee mesure-t-il concrètement le nombre de chômeurs ? Quels sont les avantages et les limites de cette mesure ? Un seul indicateur peut-il rendre compte de l’état du marché du travail ? Les réponses de Vladimir Passeron, chef du département de l’Emploi et des Revenus d’activité au sein de la direction des statistiques démographiques et sociales de l’Insee.

Quel état des lieux du chômage en France pouvez-vous dresser pour l’année écoulée ?

Le marché du travail a été fortement affecté par la crise sanitaire. Au cours de l’année 2020, le taux de chômage a nettement baissé au deuxième trimestre (7,1 %) avant de rebondir au troisième (9,1 %) pour finalement s’établir à 8,0 % au quatrième trimestre, légèrement au-dessous de son niveau d’avant-crise (8,1 % au quatrième trimestre 2019). Mais cette baisse sur l’année est pour partie « en trompe-l’œil ». En raison des restrictions d’activité liées au deuxième confinement, entre le 30 octobre et le 15 décembre, de nombreuses personnes sans emploi ont en effet basculé vers l’inactivité, notamment faute de pouvoir réaliser des recherches actives d’emploi dans les conditions habituelles. Or l’inactivité, même contrainte du fait des restrictions sanitaires, ce n’est pas du chômage.

Au quatrième trimestre 2020, l’Insee comptabilisait 2,4 millions de personnes en situation de chômage en France (hors Mayotte) alors que Pôle emploi dénombrait 3,8 millions de demandeurs d’emplois. Comment expliquer l’écart entre ces deux mesures ?

Elles portent tout simplement sur des réalités différentes. La Dares (service statistique du ministère du Travail) comptabilise les personnes qui s’inscrivent à Pôle emploi, où elles sont classées en plusieurs catégories. La catégorie A, celle qui est la plus scrutée, regroupe l’ensemble des inscrits sans aucune activité professionnelle durant le mois écoulé ; son effectif se montait à 3,8 millions de demandeurs d’emplois fin 2020 (3,6 millions en France métropolitaine).

À l’Insee, avec l’enquête Emploi en continu, nous ne comptabilisons pas les demandeurs d’emploi mais les chômeurs au sens du Bureau international du travail (BIT). Pour être considéré comme tel, une personne doit à la fois être sans emploi lors d’une semaine dite « de référence », être disponible pour occuper un emploi dans les deux semaines suivant l’enquête mais également avoir effectué au moins une démarche active de recherche d’emploi durant les quatre semaines précédentes : inscription dans une agence d’intérim, réponse à une offre, etc. Le seul fait d’être inscrit à Pôle emploi n’est pas considéré en soi comme une démarche active de recherche d’emploi.


L’écart entre les chiffres de Pôle emploi et ceux de l’Insee ne cache-t-il pas une erreur de mesure, d’un côté ou de l’autre ?

Les écarts entre les deux mesures existaient avant la crise sanitaire. Alors qu’à la fin des années 2000, l’Insee et Pôle emploi parvenaient à des chiffres relativement proches, ils ont commencé à diverger, jusqu’à atteindre environ 1 million d’écart fin 2019. Forcément, une telle divergence interpelle et nous avons regardé de près ce qu’il se passait dans chacune des sources. Ce qui est rassurant, c’est que l’enquête Emploi traduit bien les évolutions du nombre d’inscrits à Pôle emploi : quand nous demandons à ses près de 100 000 répondants chaque trimestre s’ils sont ou non inscrits à Pôle emploi, nous observons les mêmes fluctuations que celles enregistrées par la Dares et Pôle emploi. Autrement dit, l’écart entre les deux estimations ne tient pas à une erreur de mesure – l’Insee passerait à côté d’une augmentation d’inscrits à Pôle emploi – mais bien au fait que nous ne mesurons pas la même chose. Nous avons confirmé ce point en confrontant les deux sources.

Certaines personnes appartiennent donc à la catégorie A de Pôle emploi sans être comptabilisées comme chômeurs par l’Insee. Quelles peuvent être leurs situations concrètes ?

Ces personnes ne sont pas comptabilisées comme étant au chômage car elles ne respectent pas tous les critères de la définition du chômage au sens du BIT, notamment celui de la disponibilité ou de la recherche active d’emploi. Par exemple, ces personnes peuvent être des chômeurs découragés qui ne mènent pas de recherche d’emploi, notamment des seniors, ou encore des personnes qui cherchent un emploi mais ne sont pas disponibles pour en occuper un à court terme à cause de problèmes de santé ou de garde d’enfant.

Qu’est-ce que le « halo autour du chômage » que l’Insee mesure et diffuse chaque trimestre, avec le taux de chômage ?

C’est un agrégat qui regroupe des personnes sans emploi mais qui en souhaitent un, sans pour autant être classées comme étant au chômage. Notamment, comme je viens de le mentionner, parce qu’elles ne sont pas disponibles ou qu’elles ne recherchent pas activement d’emploi. Le halo autour du chômage est très utile pour bien comprendre les dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail en 2020. En effet, pendant les deux confinements, certaines personnes privées d’emploi n’en ont pas recherché un activement, principalement parce que leurs secteurs de prédilection (par exemple l’hôtellerie-restauration et les arts et spectacles) faisaient l’objet de restrictions d’activité. Des centaines de milliers de personnes ont alors basculé du chômage vers le halo autour du chômage au cours de l’année. Dans le détail, il y avait 1,7 million de personnes dans le halo du chômage au quatrième trimestre 2019, 2,5 millions au deuxième trimestre 2020 sous l’effet du premier confinement et 1,8 million au quatrième trimestre 2020.

Sur une plus longue période, le halo du chômage permet de mieux comprendre la divergence entre le chômage au sens du BIT et le nombre d’inscrits à Pôle emploi et classés en catégorie A. Mais il ne suffit pas : de plus en plus de personnes en catégorie A sont classées comme « inactives pures » dans la mesure où elles déclarent ne pas souhaiter un emploi dans l’enquête Emploi.

La baisse « en trompe-l’œil » du chômage en 2020 ne met-elle pas en exergue les limites de sa définition selon les critères du BIT que l’Insee utilise ?

On peut analyser le problème de deux manières différentes. On peut considérer que la définition du chômage selon le BIT comporte des critères trop restrictifs. Il est vrai, par exemple, que quand un répondant de l’enquête Emploi sans emploi prend trois semaines de congés, il n’est plus disponible et bascule de la catégorie du chômage vers celle du halo autour du chômage. Il est aussi vrai que le caractère restrictif de ces critères a été renforcé par le contexte de crise : de nombreuses personnes n’ont pas pu effectuer d’actes positifs de recherche d’emploi non pas de leur fait mais parce que les confinements et les restrictions d’activité les en empêchaient. Pour autant, se focaliser sur les limites de cette définition, c’est négliger ses avantages. Et ils sont considérables ! D’abord, la définition du chômage au sens du BIT est stable dans le temps et permet donc des comparaisons entre deux périodes éloignées. Ensuite, elle seule permet des comparaisons internationales qui nous sont très précieuses. Sa force est donc qu’elle est indépendante du contexte réglementaire, notamment des dispositifs de suivi ou d’indemnisation du chômage. Ceux-ci varient d’un pays à l’autre et, à l’intérieur d’un même pays, peuvent connaître des évolutions importantes dans le temps.

Le problème, c’est donc la focalisation exclusive sur le seul indicateur du taux de chômage ?

Effectivement. Le chômage est un indicateur phare mais il ne peut mettre au jour à lui seul l’ensemble des interactions sur le marché du travail, parfois complexes et évolutives. C’est pour cela que, depuis de longues années déjà, la statistique publique s’attache à rendre compte des évolutions du marché du travail sur la base d’un faisceau d’indicateurs. En 2020, nous avons ainsi mis davantage en avant les contraintes qui pèsent sur l’offre de travail. L’indicateur qui les traduit fait la somme des chômeurs, des personnes dans le halo autour du chômage et des personnes en sous-emploi, dont le nombre a bondi avec le dispositif d’activité partielle en 2020. Au total, au quatrième trimestre 2020, plus d’un participant au marché du travail sur cinq s’est trouvé contraint dans son offre de travail, soit par l’absence d’emploi, soit par une situation de sous-emploi. C’est 3,3 points de plus qu’un an auparavant. Autre indicateur utile pour comprendre la crise sanitaire et son impact sur le marché du travail : le nombre d’heures hebdomadaires travaillées par emploi. Il a baissé de 17 % au deuxième trimestre 2020, par rapport à son niveau d’avant-crise, et de 2 % au quatrième trimestre.

L’ESSENTIEL

  • Le taux de chômage en France (hors Mayotte) s’est établi à 8,0 % au quatrième trimestre 2020, légèrement au-dessous de son niveau d’avant-crise (8,1 % au quatrième trimestre 2019).
  • Cette baisse est pour partie « en trompe-l’œil » car, sous l’effet des confinements et des restrictions d’activité, de nombreuses personnes sans emploi ont basculé vers l’inactivité.
  • Pour analyser plus finement les évolutions du marché du travail, l’Insee produit des indicateurs complémentaires au taux de chômage parmi lesquels on trouve le halo autour du chômage, le sous-emploi, et, plus récemment, le nombre de personnes contraintes dans leur offre d’emploi ou encore le nombre d’heures hebdomadaires travaillées par emploi.
  • Au quatrième trimestre 2020, l’Insee comptabilisait 2,4 millions de personnes en situation de chômage en France (hors Mayotte), au sens du Bureau international du travail. Pôle emploi dénombrait 3,8 millions de demandeurs d’emplois (3,6 millions en France métropolitaine). L’écart entre ces deux mesures tient à ce qu’elles portent sur des réalités différentes. En particulier, être inscrit à Pôle emploi n’est pas considéré par l’Insee comme une démarche active de recherche d’emploi.

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