Population immigrée, entrées sur le territoire, titres de séjour… S’y retrouver dans les chiffres de l’immigration
331 000 immigrés sont entrés en France en 2022 selon le recensement de la population, tandis que 319 000 premiers titres de séjour ont été délivrés cette même année. La proximité des chiffres rend le rapprochement tentant mais ces deux statistiques, estimées respectivement par l’Insee et par le ministère de l’Intérieur et des Outre-mer, sont de natures différentes. Elles concernent pour partie des personnes distinctes, à la fois du point de vue de leur origine géographique, de leur âge, de leurs conditions administratives de séjour en France ou encore de leur durée de résidence sur le territoire français. De plus, de nombreux immigrés n’obtiennent pas leur titre de séjour dès l’année de leur arrivée sur le territoire.
Attention donc à l’utilisation de ces chiffres. Les titres de séjour délivrés une année ne permettent pas de mesurer les entrées sur le territoire cette même année. Additionner les deux chiffres n’a pas non plus de sens puisqu’une part significative des immigrés sont comptabilisés dans les deux indicateurs : lors de leur entrée, puis lors de la délivrance de leur titre de séjour. Utiliser les chiffres des entrées sur le territoire pour en déduire l’évolution de la population immigrée en France serait également une erreur car il faut tenir compte des sorties du territoire et des décès : sur la période 2006-2020, pour quatre entrées d’immigrés en France, on observe environ une sortie et un décès. Explications !
Les principales statistiques migratoires sont produites par deux entités de la statistique publique : l’Insee estime le nombre d’
résidant ou entrant chaque année sur le territoire français, à partir des données issues du recensement de la population, tandis que le produit notamment des statistiques sur le nombre de titres de séjour en cours de validité ou délivrés chaque année, à partir de sources administratives.Concernant les arrivées sur le territoire, l’Insee estime que 331 000 personnes immigrées sont entrées en France en 2022, tandis que le ministère de l’Intérieur indique que 319 000 premiers titres de séjour ont été délivrés cette même année. Que recouvrent ces chiffres en apparence proches ? Comment expliquer les écarts entre ces statistiques migratoires et quels usages faire de ces différents indicateurs ? Et pourquoi le cumul du nombre d’entrées sur le territoire ne permet pas de connaître le nombre de personnes immigrées vivant en France ?
Dans les chiffres de l’Insee, tous les immigrés entrés en France pour au moins un an
En cohérence avec les
, le recensement concerne la population usuellement résidente, c’est-à-dire les personnes qui vivent depuis au moins un an en France ou qui prévoient d’y vivre au moins un an. Par exemple, un étudiant étranger présent en France pour une seule année scolaire (moins de 12 mois) n’a pas vocation à être recensé. Toutes les personnes résidentes sont recensées sans limite d’âge, y compris les mineurs.Depuis 20 ans, le recensement s’appuie en France sur une collecte d’information annuelle. Pour estimer le nombre d’entrées sur le territoire français, l’Insee utilise les réponses à deux questions du bulletin individuel du recensement : « Si vous êtes né(e) à l’étranger, en quelle année êtes-vous arrivé(e) en France ? » et « Où habitiez-vous le 1er janvier [de l’année précédente] ? » (figure 1). Si une personne est arrivée en France au cours de l’année, la seconde question permet de connaître son pays de résidence antérieur.
Figure 1 – Extrait du bulletin individuel de l’enquête annuelle de recensement 2024
Par ailleurs, le bulletin du recensement renseigne sur le pays de naissance des personnes enquêtées et leur nationalité, au moment de l’enquête ainsi qu’à la naissance pour celles ayant acquis la nationalité française. L’Insee peut donc identifier les personnes immigrées, qui sont définies comme les personnes nées à l’étranger sans posséder la nationalité française à la naissance.
Chaque année, l’Insee est ainsi en mesure d’estimer le nombre de personnes entrées sur le territoire et ayant vocation à s’y installer pour une durée d’au moins un an, et de décrire leur origine migratoire, leur nationalité, mais également leurs principales caractéristiques sociodémographiques (sexe, âge, niveau de diplôme, etc.).
Les derniers chiffres disponibles, fraîchement publiés, mobilisent l’enquête annuelle de recensement de l’année 2023 et permettent d’estimer le nombre d’entrées sur le territoire français en 2022. Cette année-là, 431 000 personnes qui résidaient l’année précédente à l’étranger sont entrées sur le territoire français : parmi elles, 331 000 étaient immigrées et 100 000 ne l’étaient pas (soit qu’elles possédaient la nationalité française à la naissance, soit qu’elles soient nées en France, parties, puis revenues). Un peu plus d’une personne immigrée sur cinq entrées en France en 2022 était âgée de moins de 18 ans (figure 2).
Figure 2 – Immigrés entrés en France en 2022, selon l’âge et le pays d’origine
Les personnes en situation irrégulière sont prises en compte
Le recensement de la population comptabilise toutes les personnes résidant en France indépendamment de leur situation administrative. C’est une opération à visée statistique uniquement : aucune information n’est demandée sur la situation administrative des personnes enquêtées et aucun document relatif à leur identité n’est requis. Les personnes n’ayant pas de document autorisant leur séjour en France, c’est-à-dire en situation irrégulière, sont donc recensées et comptabilisées dans l’ensemble de la population, sans qu’il soit possible de les identifier en tant que telles.
L’Insee et les communes déploient de nombreux efforts afin que le recensement couvre bien l’intégralité de la population résidente : actualisation du répertoire des immeubles afin de garantir son exhaustivité, formation des agents recenseurs, accompagnement des personnes ayant des difficultés à répondre, vérifications multiples postérieures à la collecte et estimation du nombre d’habitants dans les logements n’ayant pas pu être recensés. En particulier, l’Insee met à disposition des enquêtés des notices d’informations dans plusieurs langues étrangères ainsi qu’un questionnaire en anglais et une aide à la compréhension, pour les populations non francophones ou peu à l’aise avec la langue française.
Lors du recensement, l’Insee interroge non seulement les personnes vivant dans des logements dits « ordinaires » (maison ou appartement) mais également les personnes résidant dans d’autres types d’habitations comme les résidences étudiantes, hébergements pour personnes âgées, foyers de travailleurs, campings, prisons, etc.
Des opérations spécifiques sont par ailleurs menées afin de recenser les personnes les plus difficiles à atteindre : une collecte est assurée auprès des habitations mobiles et des personnes sans abri, et d’autres opérations spéciales peuvent être menées ponctuellement (par exemple en 2016 afin de décompter, avec l’aide d’associations, les réfugiés vivant dans les camps de Calais et de Grande-Synthe, ou plus récemment avec les Nuits de la solidarité).
Il demeure possible malgré tout que certaines personnes immigrées ne soient pas comptabilisées comme telles, notamment si elles sont en situation irrégulière et redoutent de communiquer des informations lors du recensement. Cependant, la confrontation des estimations issues du recensement de la population avec d’autres sources permet de penser que les personnes en situation irrégulière sont relativement bien prises en compte dans le recensement. Par exemple, à Mayotte, l’enquête « Migrations, Famille et Vieillissement » (MFV) conçue par l’Institut national d’études démographiques (Ined) et menée en partenariat avec l’Insee en 2015 et 2016, permettait non seulement d’identifier les personnes nées à l’étranger, mais posait explicitement aux enquêtés étrangers la question suivante : « Avez-vous une carte de séjour ou une autorisation provisoire ? » – question qui n’est pas posée dans le recensement. Cette enquête a ainsi permis d’estimer que 47 % des adultes résidant à Mayotte sont nés à l’étranger, et qu’une majorité des personnes de nationalité étrangère parmi ceux-ci sont en situation irrégulière. À partir du recensement de la population réalisé à Mayotte en 2017, l’Insee a estimé que 48 % de la population de Mayotte est étrangère. Si seules les personnes en situation régulière étaient prises en compte dans le recensement, cette proportion serait significativement plus faible que celle obtenue à partir de l’enquête MFV. Ce résultat est corroboré par ailleurs par l’analyse de la consommation de riz par habitant. Tous ces éléments suggèrent que les personnes en situation irrégulière sont bien sont bien prises en compte dans le recensement de la population, notamment à Mayotte.
Dans les chiffres du ministère de l’Intérieur : les titres de séjour délivrés aux immigrés originaires de pays tiers, principalement majeurs
De son côté, le service statistique du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer produit des statistiques sur les titres de séjour, à partir de l’Application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF). Cette application centralise l’ensemble des données enregistrées par les préfectures à l’occasion des démarches effectuées par les étrangers sur le territoire et constitue le fichier national des titres de séjour.
Seuls les ressortissants de pays dits tiers, c’est-à-dire n’étant pas membres de l’Union européenne (UE) ou de l’Association européenne de libre échange (
), sont soumis à l’obligation de détenir un titre de séjour pour résider et travailler en France (sauf les ressortissants britanniques en France avant le 1er janvier 2021 qui ont des dispositions spécifiques dans le cadre de l’« accord de retrait » suite au Brexit). Par ailleurs, la très grande majorité des titres de séjour sont délivrés à des personnes âgées d’au moins 18 ans, les mineurs n’étant obligés de détenir un titre de séjour que dans de rares cas (principalement s’ils ont plus de 16 ans et souhaitent travailler). Par définition, les personnes dites en situation irrégulière n’apparaissent pas dans les statistiques de délivrance de titres de séjour.Les titres de séjour peuvent être délivrés pour des durées plus courtes qu’un an. Ainsi, des étudiants ou des travailleurs installés en France pour une durée de moins de douze mois apparaissent dans les statistiques sur les titres de séjour.
En 2022, 319 000 titres de séjour ont ainsi été délivrés en « primo-délivrance », c’est-à-dire pour la première fois (ou après plus d’un an sans autorisation de séjour valide), à des ressortissants de pays tiers hors Britanniques, dont 197 000 pour une durée d’exactement un an et 84 000 pour une durée strictement supérieure à un an (figure 3).
Figure 3 – Premiers titres de séjour délivrés en 2022, par durée
Derrière ces chiffres proches en apparence, des différences de champ et de temporalité
Ainsi, si les chiffres de l’Insee et du ministère de l’Intérieur sont assez proches pour l’année 2022 (331 000 immigrés entrés sur le territoire d’après le recensement de la population et 319 000 premiers titres de séjours délivrés d’après les statistiques du ministère de l’Intérieur), ils ne couvrent en réalité pas les mêmes populations et appréhendent des réalités différentes. D’un côté, le recensement de la population intègre les immigrés en provenance de tous pays, quel que soit leur âge, qui résident en France pour une durée d’au moins un an, y compris s’ils sont en situation irrégulière. De l’autre, les titres de séjours sont attribués aux immigrés en provenance de pays tiers, principalement majeurs, pour des durées parfois inférieures à un an, et ces personnes sont alors par définition en situation régulière. De plus, une personne née étrangère à l’étranger ayant par la suite acquis la nationalité française reste considérée comme une personne immigrée d’après le Haut Conseil à l’Intégration : elle est comptabilisée comme telle par l’Insee mais, ne nécessitant pas de titre de séjour, n’apparaît pas dans les statistiques du ministère de l’Intérieur.
Toutefois, même en se restreignant au champ le plus comparable des entrées ou délivrances de titres de séjour de personnes majeures, n’ayant pas la nationalité française, originaires de pays tiers hors Britanniques, pour des durées de séjour d’au moins un an, un écart subsiste chaque année entre les deux indicateurs, qui ne mesurent pas les flux d’immigrés sur les mêmes périodes de temps.
En effet, une part significative des immigrés n’obtiennent pas leur titre de séjour l’année de leur arrivée sur le territoire. Ce décalage temporel concerne plusieurs cas de figure différents :
- Des personnes entrées mineures qui peuvent se voir délivrer un titre de séjour une fois devenues majeures ;
- Des personnes ayant déjà déposé une demande de titre de séjour qui n’a pas encore été accordée, les délais d’attente étant parfois longs (pour les demandeurs d’asile notamment). Par exemple, d’après l’enquête longitudinale sur l’intégration des primo-arrivants (Elipa 2) réalisée par le service statistique du ministère de l’Intérieur, les réfugiés ayant obtenu leur premier titre de séjour en 2018 avaient passé en moyenne 2,8 ans en France avant de l’obtenir ;
- Des personnes en situation irrégulière, dont les entrées sont comptabilisées par l’Insee l’année de leur arrivée sur le territoire. Une partie des personnes en situation irrégulière à leur arrivée obtiennent par la suite un titre de séjour : d’après l’enquête Elipa 2, 26 % des personnes ayant obtenu un premier titre de séjour d’au moins un an en 2018 n’avaient aucun document en cours de validité au moment de leur arrivée en France.
Il peut donc y avoir un décalage de plusieurs années entre le moment où un même individu est considéré comme entrant sur le territoire dans le recensement, et celui où il sera comptabilisé comme primo-détenteur d’un titre de séjour (ce qui est confirmé par une analyse approfondie publiée en 2016 dans la revue Économie et Statistique sur le champ commun aux deux mesures).
Ainsi, ces différences de champs et de temporalité interdisent d’additionner ces deux indicateurs pour connaître le « vrai » nombre d’entrées en France sur une période, tous âges, toutes origines, toutes durées de séjour, toutes situations administratives confondus : cela reviendrait à compter deux fois un nombre significatif de personnes (une première fois au moment de leur arrivée sur le territoire puis une seconde lorsqu’elles obtiennent un titre de séjour), donc à surestimer le nombre d’immigrés entrant en France au cours d’une période donnée. Seules les enquêtes annuelles de recensement de l’Insee mesurent les entrées sur le territoire une année donnée (même si elles ne permettent pas de comptabiliser les courts séjours de moins d’un an).
L’évolution de la population immigrée en France ne se mesure pas à l’aune des entrées sur le territoire
L’évolution de la population immigrée en France ne peut être approchée uniquement par le prisme des entrées sur le territoire. Preuve en est que, d’après le recensement de la population, le nombre d’immigrés résidant en France a augmenté de 1,8 million entre le 1er janvier 2006 et le 1er janvier 2021, alors que la somme des entrées d’immigrés est de 3,5 millions sur la même période. Comment expliquer cet écart du simple au double ?
D’une part, des personnes quittent le territoire français chaque année, qu’elles soient immigrées ou non, par exemple à la fin d’une expérience scolaire ou professionnelle en France, pour s’expatrier, pour retourner vivre dans leur pays d’origine, etc. La différence entre les entrées et les sorties du territoire correspond au solde migratoire, que l’on peut calculer pour l’ensemble de la population résidant sur le territoire français, ou bien pour les seules personnes immigrées ou non immigrées. D’autre part, la population évolue également au rythme des naissances ( , ces naissances ne concernent que des personnes non immigrées) et des décès, qui eux concernent aussi bien des non-immigrés que des immigrés.
Au total, entre 2006 et 2020, on dénombre ainsi chaque année en moyenne près de 60 000 sorties et 55 000 décès de personnes immigrées, pour un peu plus de 230 000 entrées (figure 4). Autrement dit, pour quatre entrées d’immigrés en France, on compte environ une sortie et un décès. Ainsi, pour évaluer l’évolution du nombre d’immigrés sur le territoire sur une période donnée, il faut prendre en compte la somme des entrées, mais retirer la somme des sorties ainsi que les décès.
Figure 4 – Décomposition de la croissance de la population immigrée entre 2006 et 2020
L’autrice et l’auteur remercient Eliza Ghiorghita et Samuel Ettouati du Département des statistiques, des études et de la documentation (DSED) du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer pour leur relecture attentive. ■
Pour en savoir plus
- Tanneau P., 2024, « Flux migratoires – Des entrées en hausse en 2022 dans un contexte de normalisation sanitaire et de guerre en Ukraine », Insee Première n° 1991, avril
- Insee, 2023, « Immigrés et descendants d’immigrés en France – édition 2023 », Insee Références, mars
- DSED, 2024, Les chiffres clés de l’immigration 2022, Les chiffres clés de l’immigration n° 4, janvier
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