Un retour sur l’évolution récente de l’inflation

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Nicolas Carnot et Julien Pouget, Insee.
Un retour sur l’évolution récente de l’inflation
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La hausse des prix à la consommation en France a atteint 5,2 % en moyenne en 2022, du fait de la poussée des prix de l’énergie, de l’alimentation, et dans une moindre mesure des autres produits. Un tel niveau d’inflation n’avait pas été mesuré depuis le milieu des années 1980. Il s’explique par une conjonction de tensions mondiales sur les approvisionnements, les matières premières et l’énergie, amplifiées en Europe par la guerre en Ukraine. Si cette ‘inflation importée’ s’est diffusée aux prix intérieurs, elle a aussi été limitée par les mesures publiques et n’annonce pas forcément le retour d’une dynamique de prix auto-entretenue.

Les moyennes cachent presque toujours des situations très hétérogènes. Celle des prix à la consommation ne fait pas exception. En moyenne sur l’année 2022, les prix à la consommation ont augmenté de 5,2 % (Figure 1). Mais les prix de l’énergie ont progressé de 23 % par rapport à 2021, et ceux de l’alimentation de 7 %. L’histoire de cette flambée des prix commence à la fin des confinements.

Figure 1 : Évolutions annuelles des prix à la consommation de 1950 à 2022

Évolutions annuelles des prix à la consommation de 1950 à 2022
Champ : indice des prix à la consommation série parisienne jusqu’en 1962, ménages “urbains” jusqu’en 1992, France métropolitaine depuis 1993, France entière depuis 1999
Source : Insee
Des tensions au niveau mondial

En effet, les restrictions d’ampleur entraînées par les confinements de 2020-21 sur les chaînes de production mondiales n’ont eu d’abord que peu d’impacts sur les prix à la consommation. Certains biens ont même vu leurs prix baisser pendant les confinements, par exemple l’essence, faute de demande.

Les déséquilibres sont apparus lors de la réouverture des économies : la demande a rebondi dans les pays occidentaux, tandis que la production restait parfois grippée, notamment en Asie. La demande de biens a été notoirement forte aux États-Unis, où le soutien aux ménages a été massif, plus encore qu’en Europe. Les cours mondiaux de l’énergie et des matières premières, industrielles comme alimentaires, ont alors fortement grimpé, de même que les prix du fret maritime. Puis, début 2022, la guerre en Ukraine a accentué les tensions, en particulier sur les denrées alimentaires et le gaz, surtout en Europe.

Du point de vue de la France et même de l’Europe, la poussée de prix a donc à l’origine des causes extérieures (certes elles-mêmes reflétant nos ‘dépendances’). Mais la base de l’inflation s’est élargie au cours de l’année 2022…

Une diffusion aux prix intérieurs

Sur longue période, parmi les composantes de l’indice des prix à la consommation en France, les prix de l’énergie sont tout à la fois les plus volatils et les plus dynamiques (Figure 2). À cet égard, la période récente ne fait bien sûr pas exception. Mais elle se distingue par l’ampleur de l’envolée des prix et par le fait que l’électricité et le gaz y ont nettement contribué, aux côtés de ceux des produits pétroliers.

De la mi-2021 à la mi-2022, l’énergie, dont le poids dans le panier de consommation ne dépasse pourtant pas 9 %, a été ainsi le premier poste à contribuer à l’inflation d’ensemble en France. Puis, à partir de l’été 2022, c’est l’alimentation (un peu plus de 16 % du panier) qui a pris le relais (Figure 3) : la forte poussée des cours mondiaux des matières premières alimentaires s’est en partie répercutée dans les prix à la consommation, avec quelques trimestres de décalage.

Figure 2 : Prix à la consommation

Prix à la consommation
Source : Insee

Figure 3 : Glissement annuel de l’indice des prix à la consommation en France

Glissement annuel de l'indice des prix à la consommation en France
Source : Insee

Davantage exposés aux contraintes d’offre et notamment d’approvisionnement, les prix des biens manufacturés ont par ailleurs augmenté plus rapidement que ceux des services au cours de la période récente (Figure 4). Ce que l’on n’avait pas observé depuis bien longtemps : sur les dernières décennies, les prix des services ont toujours augmenté plus que ceux des biens manufacturés, car ces derniers sont d’ordinaire contenus par les gains de productivité et le commerce mondial.

La hausse, inédite depuis les années 1980, du prix des biens industriels traduit clairement que les hausses de coûts importés se sont diffusées vers les prix de la plupart des produits de consommation. En parallèle, les salaires nominaux ont aussi accéléré progressivement, sous l’effet des revalorisations du salaire minimum (indexé sur l’inflation) et des négociations salariales. Pour autant, le salaire moyen exprimé en termes réels (après prise en compte de l’inflation) a bien baissé en 2022 : les effets d’entraînement entre prix et salaires, dits « de second tour », sont là, mais on ne voit pas d’emballement. Et le net durcissement des politiques monétaires vise bien à se prémunir du risque d’une dérive trop marquée des anticipations de prix.

Figure 4 : Glissement annuel des prix à la consommation pour les produits manufacturés et des services

Glissement annuel des prix à la consommation pour les produits manufacturés et des services
Source : Insee
Les écarts entre pays : le rôle des politiques publiques

La montée des prix a été observée presque partout. Mais avec des variations notables d’un pays à l’autre, y compris au sein de la zone euro. Une partie des différences s’explique par les politiques publiques, ou encore par des problèmes d’approvisionnement régionaux.

Les États-Unis ont été en avance, compte tenu de la vigueur de la demande et du marché du travail. Par ailleurs, si le marché et donc les cours du pétrole sont mondiaux, ceux du gaz et de l’électricité sont en revanche régionaux. En particulier, la guerre en Ukraine a fait flamber les cours en Europe, alors que les prix du gaz sont restés beaucoup plus sages Outre-Atlantique.

S’agissant des pays européens, les écarts entre eux proviennent notamment des prix de l’énergie : les modes de fixation des prix à la consommation du gaz et de l’électricité diffèrent, même si les « prix de gros » s’établissent eux au niveau européen. Surtout, si la plupart des gouvernements ont adopté des politiques de soutien au pouvoir d’achat, leur calendrier et les modalités (limitations de prix et/ou soutien au revenu) ont varié d’un pays à l’autre.

La France est ainsi le premier pays à avoir mis en place, dès l’automne 2021, un bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité. S’y est ajoutée, au printemps 2022, la remise à la pompe sur les prix du carburant. Au total, l’Insee estime que ces dispositifs ont contribué à réduire l’inflation d’environ trois points de pourcentage : deux points d’effet direct, et un point d’effet indirect, passant par les consommations intermédiaires des entreprises pour leur production. Ces mesures ont permis à la France d’afficher une inflation parmi les plus faibles d’Europe en 2022 (Figure 5).

Figure 5 : Glissement annuel de l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH)

Glissement annuel de l'indice des prix à la consommation harmonisé
Source : Eurostat
Et maintenant ?

Au total, la poussée inflationniste récente est frappante, mais elle peut aussi être relativisée. Il y a eu conjonction de tensions sur les conditions de production, alors que la demande restait soutenue. L’inflation a été plus élevée en 2021-2022 que ce qui avait été prédit, et moins éphémère. Mais s’il y a bien eu transmission des chocs de/sur les coûts aux prix de vente, et que l’on n’est pas encore au bout de ce processus, on ne peut pas non plus dire que l’on soit entré dans une dynamique auto-entretenue, du type de celle des années 1970.

Le risque d’une telle dynamique ne peut être exclu, ce qui explique la réaction vigoureuse des banques centrales. Au cours des prochains mois – sauf nouvelle surprise – deux effets devraient se juxtaposer : d’un côté, la poursuite de la propagation des chocs passés, de l’autre, les facteurs de modération comme la normalisation observée depuis quelques mois sur les approvisionnements mondiaux. Le plus probable, si l’on veut s’y risquer, est bien ainsi que le chiffre de l’inflation recule courant 2023 et au-delà, même si le niveau des prix, lui, continuerait d’augmenter. Et ce sans préjuger des évolutions de plus long terme, qui ressortiraient d’une analyse beaucoup plus vaste, faisant la part des conditions structurantes (ouverture des économies, décarbonation…) et des régimes de politique économique.

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